Le Journal de Quebec - Weekend
ROMAN-CHOC SUR LA GUERRE DU VIÊT NAM
Dans son nouveau roman, Em, l’écrivaine Kim Thuy revisite la guerre du Viêt Nam – appelée là-bas « guerre américaine ». Sur fond de conflit, elle raconte une belle histoire d’amour entre deux éclopés, et montre que dans tout le mal, toute la haine, toute la destruction, le bien, le bon, l’amour réussissent quand même à s’infiltrer. À travers cette histoire, elle décrit les horreurs subies dans son pays natal. Un roman-choc, émouvant, parfois très dur, à lire absolument : il parle de guerre, mais aussi d’espoir.
Kim Thuy montre l’importance des liens qui nous unissent tous dans ce roman original, mené à sa façon, qui se promène entre l’Asie et l’Amérique. Ce mot très court, Em, signifie d’ailleurs, en vietnamien, « petit frère », « petite soeur », ou encore « bien-aimé ».
L’écrivaine de talent – on lui doit plusieurs livres dont le best-seller international Ru, explore cette fois comment les humains traumatisés par la guerre et l’exil cherchent l’amour et le réconfort du noyau familial lorsque leur passé les rattrape.
Avec une prose sans faille, des évocations poétiques, des faits historiques crus, elle parle d’un garçon et d’une fille, mais aussi d’événements historiques marquants, comme l’opération Babylift qui a permis d’évacuer des milliers d’orphelins biraciaux, à Saigon, en avril 1975.
Les faits qu’elle relate sont durs : l’esclavage des coolies vietnamiens dans les plantations d’hévéa, le traitement de la population vietnamienne lors de l’arrivée des Américains pendant la guerre, des scènes insupportables de tueries, l’exil, la renaissance ailleurs, autrement.
DEUX ORPHELINS
« Je voulais juste raconter une histoire d’amour, dit Kim Thuy, en entrevue. La première image qui est restée dans ma tête, et qui a forcé, si tu veux, tout le livre, c’est la photo d’une petite enfant qui dormait dans une boîte en carton, avec un petit garçon qui dormait à côté, à l’extérieur de la boîte. C’est une vraie photo et le photographe et la petite, adoptée aux États-Unis, se sont retrouvés. Elle est devenue haute gradée dans l’armée américaine. »
Elle s’est demandé qui était le petit garçon. « Ah… je me disais que ce serait beau que ce soit deux orphelins qui s’adoptent sur le trottoir, et qui ont été amoureux dès le premier jour. »
L’histoire de ces deux petits coeurs s’est mariée avec l’opération Babylift. De fil en aiguille, elle a fait de nombreuses recherches qui l’ont ramenée à l’époque des plantations, puis aux années de guerre. « À 90 %, toutes les histoires que je raconte sont vraies. La seule chose qui n’est pas vraie, c’est que je n’ai pas réussi à raconter toute la réalité. Parce que la vraie réalité est encore plus atroce. »
La période de documentation, plongeant droit dans les scènes de guerre les plus horribles, a été très éprouvante pour l’écrivaine, qui a grandi à Saigon. Elle a fait des cauchemars et s’est sentie habitée par des sentiments de culpabilité, pendant l’écriture.
« J’ai réalisé que je vivais dans une tour d’ivoire. Je suis née en 1968. Tout ça se passait autour de moi et je n’en avais pas conscience, le moment où il y a eu le plus grand déploiement de soldats américains en sol vietnamien. Et je ne l’ai jamais su. »
Son constat ? « Parfois, le bien est dans le mal, note-t-elle. Tout est entremêlé. S’il n’y avait pas eu de catastrophes, il n’y aurait pas eu la création de la Croix-Rouge. Si j’ai un message à passer, après l’avoir l’écrit, c’est que je crois qu’on peut tous être des héros, dans le quotidien. Un petit geste qu’on pose peut changer la vie d’énormément de gens. Parfois, deux personnes vulnérables deviennent ensemble une force. »
En librairie le 4 novembre.