Le Journal de Quebec - Weekend

Le grand départ

- BRYAN MARSH Collaborat­ion spéciale — Propos recueillis par Jadrino Huot

Québec, jeudi, 8 octobre. À la barre de mon voilier baptisé WLePetit

Bateau Bleu au Coeur Fringant ou, plus simplement, W, je ne peux croire que s’effacent déjà au loin dans la pénombre le cap Diamant, le château Frontenac et les plaines d’Abraham. Dire que je ne reverrai plus ces magnifique­s images de ma ville avant vingt mois.

Oui, vingt mois, dont 146 jours en mer pour parcourir plus de 10 000 milles nautiques. Une longue boucle qui me mènera en Floride, aux Bahamas, aux Bermudes, aux Açores, à l’île de Madère, aux îles Canaries et en Guadeloupe pour ainsi terminer mon épopée en mai 2022.

C’est bien moi ça ! Je n’ai jamais couru un kilomètre de ma vie. C’est tout ou rien. Je reste à la ligne de départ ou je me lance dans un marathon. Passionné de la mer, passionné de la vie.

FOLIE

J’ai acheté mon premier bateau, Merlot, à l’âge de 27 ans. Tous mes étés, je les passais sur l’eau d’une rivière, du fleuve ou du golfe. Je n’ai toutefois navigué qu’une seule fois hors du Québec et c’était il y a cinq ans pour aller chercher W, alors un vieux rafiot abandonné à Norwalk, au Connecticu­t. Je l’ai eu pour un prix ridicule tellement il était en décrépitud­e. Je l’ai remis un tant soit peu en état de flottaison. Au bout de deux semaines, j’ai mis le cap vers la maison en empruntant la rivière Hudson. Le capitaine du petit port de l’endroit me trouvait complèteme­nt fou, me donnant le surnom de Crazy

Canadian. S’il me voyait aujourd’hui, il serait sans mots.

Sans mots de voir cette coquille vide devenue un superbe voilier équipé des toutes dernières technologi­es. Je ne peux calculer le nombre de personnes qui m’ont donné un coup de main pour bâtir ce rêve. Une véritable corvée de l’amitié.

AMITIÉ

À la lueur du lever du soleil, je regarde ma voile. Je pense à la clique de la polyvalent­e de Carleton : Éric, Raynard, André, Geneviève, Patrick, maintenant à la tête de compagnies prestigieu­ses, qui sont embarqués à pieds joints comme commandita­ires. Au fond, je suis peut-être le seul du groupe qui n’a pas eu une aussi grande carrière.

Je pourrais les envier, mais à quoi bon. Je ne regrette rien de ma vie. Toutefois, si c’était à refaire, je crois, mi-figue mi-raisin, que je me souhaitera­is une crise cardiaque à un plus jeune âge. Je l’ai vécue au début de la cinquantai­ne. Elle m’a permis de m’ouvrir les yeux.

Je sors de ma bulle, car Rimouski se pointe déjà au loin.

Première surprise : les quais des marinas sont tous hors de l’eau à cette période de l’année. Deuxième surprise : plusieurs personnes sont sur les berges pour souligner mon arrivée. Au moins, elles pourront m’aider à accoster.

Ce scénario s’est répété à tous mes arrêts le long des côtes québécoise­s : Matane ; Sainte-Anne-des-Monts ; Percé. Je suis surexcité.

MUR

Est-ce l’adrénaline qui a cessé de filer à toute allure ? Est-ce la nostalgie ? Ou un mélange des deux ?

La nuit a été des plus dures. J’ai frappé un mur, un gros mur, et de plein fouet. Je ne parle même pas de l’obscurité ou de l’air glacial qui transperce les os. J’ai réalisé que je ne pourrai serrer mes enfants dans mes bras pendant les 20 prochains mois. J’ai réalisé que j’ai peut-être vu mon père vivant pour la dernière fois avant mon départ. Heureuseme­nt, le soleil et les maisons colorées de Capaux-Meules aux Îles-de-la-Madeleine me redonnent énergie et vigueur. Je dois maintenir le cap. Qui a dit que la vie était un long fleuve tranquille ? C’est ici que le défi commence…

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De nombreuses personnes m’ont donné un coup de main pour rafistoler mon bateau.
Devant le rocher Percé. De nombreuses personnes m’ont donné un coup de main pour rafistoler mon bateau.
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