Le Journal de Quebec - Weekend
LA FORCE DES MOTS
• Virginie Chaloux-Gendron
En imaginant le pire par écrit — la mort d’un enfant — Virginie Chaloux-Gendron a à la fois exorcisé ses plus grandes craintes et réveillé la petite fille enfouie au fond d’elle-même. Largement biographique, ce récit cathartique met en scène une narratrice obsédée par la hantise de perdre la personne qu’elle a mise au monde.
Rapport à la littérature, tabous liés à la maternité, permanente peur de perdre la personne enfantée, solitude, difficultés du couple, affiliation, blessures d’enfance : c’est un récit aux thèmes forts que livre Virginie Chaloux-Gendron avec Fais de beaux rêves. Un premier roman coup-de-poing dans son propos où la jeune maman de 29 ans ose aborder la douloureuse idée de la mort infantile.
Si ce sujet est né d’un travail universitaire qu’elle devait écrire à la suite de lectures l’ayant chamboulée (dont Tom est mort de Marie Darrieussecq), l’écrivaine avoue qu’elle portait depuis un moment cette hantise en elle.
« Lire l’histoire d’un enfant qui meurt m’a permis de voir qu’on avait le droit d’écrire là-dessus, dit-elle. Mon but n’était pas d’écrire un roman pour renverser le tabou lié à cela. C’est seulement que je portais cela en moi et que je devais trouver une façon de le canaliser. »
C’est son fils qui est à la genèse du processus créateur de ce roman aux allures de journal intime d’une femme détruite aux mots pourtant portés par une grande douceur.
« Cette crainte de perdre mon fils m’a pourchassée pendant les trois premières années de sa vie. Cela m’a hantée. Il fallait que j’imagine le pire pour prendre la distance nécessaire par rapport à cette éventualité. Si je mettais en mots cette hantise-là et que cela passait par le langage, cela voulait dire qu’il y avait une distance qui allait se créer entre ma peur et l’événement fictif. »
ÉCRIRE POUR SURVIVRE
La période d’écriture (trois ans) a été extrêmement difficile pour celle qui a voulu mettre en mots « l’injustice de l’enfant à la merci de ses parents » qu’elle a ressentie à la naissance de son fils.
« Pendant la première année du livre, je me mettais vraiment dans la peau de celle qui a perdu son enfant. J’ai perdu du poids, j’étais fatiguée, je n’avais pas faim. C’est comme si j’avais vraiment eu besoin de m’identifier à la narratrice — qui est en quelque sorte moi — pour exorciser tout cela. »
Par « tout cela », elle entend une enfance chaotique qui l’a forcée à enfouir très loin pour toutes sortes de raison la petite fille qu’elle était.
« N’ayant pas eu la chance d’avoir une enfance dite normale, j’avais de la difficulté à m’imaginer comment mon fils lui, pourrait avoir accès à cette normalité sans que ce soit entravé par un événement tragique. »
Convaincue du pouvoir salvateur de la littérature, l’autrice devait mener cette histoire à terme pour pouvoir prendre un nouvel élan et envisager l’avenir avec un peu plus de sérénité. « C’est aussi l’histoire de ce que peut apporter la littérature par rapport aux hantises qu’on porte en nous et qui parfois prennent toute la place. »
Aujourd’hui libérée d’une grande partie de ses peurs quotidiennes, l’écrivaine qui habite à Québec voit désormais la littérature comme un moyen dont on dispose pour changer le cours des événements.
« Notre passé ne nous détermine pas, insiste-t-elle. Une fois que c’est dit et que c’est passé par le langage, là on peut se regarder a posteriori avec moins de méfiance. »