Le Journal de Quebec - Weekend

DES VIES PAS SI DOUCES

- JOSÉE BOILEAU

Faire les sucres est un exercice plus exigeant qu’il n’y paraît. Il faut se méfier des apparences, même les plus délicieuse­s d’entre elles.

Au fond d’eux-mêmes, Adam et Marion, le couple choyé créé par Fanny Britt, ne ressemblen­t pas à ce qu’ils affichent en public.

Adam est un cuisinierv­edette : il a son resto et son émission de télé, et l’argent qui vient avec. Marion est dentiste et son quotidien est lisse de tout souci, tant et si bien qu’elle affiche en permanence gentilless­e et empathie.

C’est pourtant de la poudre aux yeux.

Adam, en fait, ne va pas bien. En vacances à Martha’s Vineyard, alors qu’il s’essaie au surf, il fonce par maladresse sur une jeune fille. Il avale la grande tasse au point de craindre d’y rester. Il finit par retrouver son souffle. L’adolescent­e, elle, est blessée : son genou est démoli.

Blessure il y a pourtant aussi pour Adam. Elle est dans sa tête. Une brèche — qui ne devait attendre que ça — vient de s’ouvrir. Il se met à avoir des angoisses, se désintéres­se de tout, ne sait plus ce qu’il attend de la vie. Et il se retrouve plus seul que jamais.

Consulter un psy ? Voyons ! Parler à des collègues ou à des amis ? Impensable.

À sa conjointe alors ? Marion, qui s’est toujours laissée porter par la vie, n’est pas à la hauteur de ce rôle. Au contraire, elle se détache d’Adam et se met à multiplier les aventures. Plus le goût d’être la fine de service, ni avec lui ni avec les autres !

Des deux, c’est toutefois le sort d’Adam qui interpelle. Avec lui on constate — mais était-ce voulu ? — à quel point les hommes n’ont pas d’espace pour évoquer leurs problèmes de santé mentale. Surtout s’ils ont du succès. Un Adam n’est pas censé faire pitié.

TRAVERS DE LA SOCIÉTÉ

En contrepoin­t se glissent quelques chapitres consacrés à Celia, celle qu’il a frappée.

Cette jeune Afro-Américaine ne fait pas partie des privilégié­s. Au contraire. Elle va rarement sur la plage pour s’amuser et les frais d’hôpital sont élevés. La sollicitud­e (toute canadienne !) du couple au moment de l’accident lui paraît même de trop.

Son sort est décrit avec sensibilit­é, néanmoins on s’en sent loin tant il relève de particular­ités propres aux États-Unis.

Le déséquilib­re des situations se voit plutôt dans l’entourage du couple.

Ainsi de l’affable Marion, au fond indifféren­te voire condescend­ante avec ses employées. La confrontat­ion des classes sociales est souvent d’une mesquine banalité !

À l’inverse, Adam s’attache tellement à la famille Sweet, qui lui a vendu leur érablière, qu’il leur construit une aura mythique. Mais ils ne veulent pas de cette image plaquée.

On peut aussi évoquer Sarah, l’ex d’Adam et mère de leurs deux enfants. Elle est l’anonyme, l’écrasée, jusqu’à une formidable colère qui lui redonne sa fierté.

C’est là un des nombreux moments forts de ce récit aux multiples couches, implacable sous la douceur de l’écriture. Aussi lucide que savoureux.

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FAIRE LES SUCRES Fanny Britt , Le Cheval d’août , 272 pages
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