Le Journal de Quebec - Weekend
INTERPRÉTER UNE PERSONNALITÉ CONNUE : RISQUE OU HONNEUR ?
Incarner une personnalité contemporaine qui a été adulée du public n’est pas toujours une mince affaire. La très attendue 4e saison de The Crown sur Netflix, qui fait place à une certaine Diana Spencer, nous permet de réfléchir au défi auquel est confronté un acteur quand il décroche un rôle historique. Risque ou honneur ? Comme le souvenir de ces personnalités n’est pas si lointain, c’est aux téléspectateurs d’accepter leur proposition.
Les personnages contemporains pour lesquels nous avons des références claires et des descendants directs sont plus rares. Au Québec, Maurice Duplessis (Jean Lapointe en 1978), René Lévesque (Denis Bouchard en 1994 et Emmanuel Bilodeau en 2006), Joseph-Armand Bombardier (Gilbert Sicotte en 1992), Alys Robi (Joëlle Morin en 1995), Olivier Guimond (Benoît Brière en 1997), Willie Lamothe (Luc Guérin en 2000), Michel Chartrand (Luc Picard en 2000), Jean Duceppe (Paul Doucet en 2002), Jean Béliveau (Pierre Yves Cardinal en 2017) ont été immortalisés dans une minisérie.
« Il y a peut-être une époque où c’était plus risqué, remarque Paul Doucet qui a prêté ses traits au très aimé et rassembleur Jean Duceppe dans une minisérie sur sa vie (Jean Duceppe, 2002, Télé-Québec). Je sais qu’à l’époque des Belles Histoires des pays d’en haut, certains acteurs ont été étiquetés à leur personnage et n’ont plus beaucoup travaillé par la suite, mais aujourd’hui, ça ne risque pas de mettre fin à ta carrière. »
L’HONNEUR
C’est à la suite de quatre auditions qu’il a décroché le rôle. « À ce moment, un poids venait de se déposer sur mes épaules, se rappelle Paul Doucet. J’ai travaillé fort en amont pour arriver confiant sur le plateau et heureusement, j’ai eu plein de petits moments de confirmations de la part d’acteurs qui l’avaient bien connu et qui m’ont dit que je faisais une bonne job. Je me souviens que Michel Dumont m’avait dit : “50 % vont aimer ton Duceppe et 50 % ne l’aimeront pas” et que le réalisateur Robert Ménard m’avait dit que les gens avaient leur Jean Duccepe en mémoire et qu’on ne pouvait pas l’effacer, mais qu’on allait leur proposer le nôtre. La pression est tombée. Parce qu’avoir à jouer un personnage comme celui-là ne peut être qu’un honneur et un énorme privilège. »
Emmanuel Bilodeau, quant à lui, a accepté d’incarner un des hommes politiques les plus aimés, René Lévesque (René, 2006, Radio-Canada-CBC) : « C’était un immense honneur pour moi d’incarner une idole, peu importe s’il était aimé de tous ou non. Moi, je l’aimais, je l’admirais et je voulais lui rendre justice, sans complaisance, car il détestait ça, mais avec rigueur, car il aimait la rigueur. Il avait beaucoup apprécié ma rigueur journalistique en 1987 quand je l’avais interviewé quelques semaines avant sa mort alors que j’étais journaliste stagiaire à La Presse. Je ne pouvais pas me douter que je deviendrais comédien. »
LE RISQUE
Il constate toutefois que le défi peut comporter une part de risque. « Ça dépend du contexte, des attentes du public et des critiques, avoue-t-il. Plus des gens vivants ont connu le personnage, plus ils seront impliqués émotivement et plus ils seront critiques. La pression sera aussi plus forte si le personnage a été
interprété précédemment. » Dans le cas de René Lévesque, Denis Bouchard l’avait incarné dans une série en 1994 qui avait été vertement critiquée. S’il garde un goût amer de l’expérience, il a toujours affirmé son admiration pour l’homme.
« C’est un risque pour une carrière, continue Bilodeau. Beaucoup de pression, ça peut détruire ton image et ta confiance quelques années. Je n’ai pas dormi jusqu’au premier jour du tournage, je faisais sans cesse des rêves bizarres. Mais j’aimais tellement cet homme politique qu’il n’était pas question de refuser ce projet. Même si c’était cassegueule. » Un rôle qu’il a d’ailleurs tourné dans les deux langues, ce qui ajoutait au défi.
LA CONFIRMATION
Paul Doucet a rapidement conquis ses confrères, mais aussi la famille de Jean Duceppe. « Je me souviens que sa conjointe, Hélène Rowley, avait vu ma photo en Duceppe dans Le Journal de Montréal et avait appelé ses enfants croyant que c’était son mari. Elle avait été très émue lors de la projection. J’ai fait de la tournée promotionnelle avec Gilles [Duceppe] alors qu’il était chef du Bloc québécois. Alexis [Duceppe] m’a même dit avoir montré la série à ses enfants pour qu’ils connaissent leur arrière-grand-père. C’est tout un honneur. » Un honneur qui nous permet de nous faire raconter notre histoire.