Le Journal de Quebec - Weekend
Les défis du premier aubergiste de Nouvelle-France
Au milieu du 17e siècle, il n’y a pas encore officiellement d’auberges au Canada. Si un colon veut boire un pot (vin, bière ou alcool fort), il doit le faire chez lui ou chez un voisin.
Puis, si on veut en acheter, on doit passer par le magasin de la Communauté des Habitants. Les choses vont changer quand Jacques Boisdon ouvrira, en 1648, la toute première auberge (cabaret) de l’histoire du pays.
PREMIER DÉBIT D’ALCOOL
Jacques Boisdon, dont le nom même semble prédestiné au métier (« Boisdon », « bois donc »… vous comprenez ?), reçoit un permis le 19 septembre 1648 pour tenir une auberge, qu’il s’empresse de nommer Au Baril d’or. Son établissement est en fait une taverne, mais aussi une pâtisserie et un hôtel. Le permis, délivré par le Conseil de la Nouvelle-France, résulte de la plus ancienne législation relative à la tenue des auberges de l’histoire du Québec. Il ne permet pas seulement à Boisdon de vendre de l’alcool, il lui octroie également un monopole durant une période de six ans.
Il faut savoir qu’on est à une époque où les autorités coloniales françaises cherchent à resserrer leur contrôle sur la vente de l’alcool dans la vallée du Saint-Laurent. Depuis quelques années, certains colons comme le célèbre apothicaire Louis Hébert brassent de la bière au Canada. En plus de cette production encore bien artisanale, on constate que de plus en plus d’habitants profitent d’un revenu d’appoint en vendant de la nourriture ou des boissons aux voyageurs de passage sans aucun encadrement des autorités.
AU BARIL D’OR
Les conditions imposées à Jacques Boisdon pour qu’il exploite son commerce sont précises. Son auberge doit avoir pignon sur rue sur la place publique tout près de l’église. Certains pensent que cette obligation avait principalement pour objectif d’offrir un abri chauffé en cas de mauvais temps aux fidèles qui attendaient l’ouverture des portes pour assister à la messe.
De plus, Boisdon doit s’occuper des personnes ivres, empêcher ses clients de blasphémer, interdire les jeux de hasard et s’assurer qu’il n’y a pas de scandale lié à son établissement. Son auberge doit aussi être fermée les dimanches, durant les offices religieux et les jours de fête. Certains racontent que le bedeau responsable d’assurer le bon ordre pour l’église fouillait scrupuleusement chaque chambre de l’auberge en passant sa canne sous les lits pour essayer de débusquer quiconque aurait pu s’y cacher pendant la messe.
En contrepartie, les autorités coloniales assurent à Boisdon l’approvisionnement de la France au port de Québec de « huit tonneaux gratis » à condition qu’il achète sa bière pour l’auberge de la brasserie de la Communauté des Habitants pendant trois ans.
Si Au Baril d’or est officiellement la première auberge de l’histoire du Canada, elle ne restera pas longtemps la seule. Entre l’ouverture de l’auberge de Boisdon et la chute de la Nouvelle-France en 1760, les registres nous permettent de croire que plus de 260 établissements hôteliers ont eu une adresse à Québec. C’est certain que la notion d’établissement à cette époque était souvent bien rudimentaire, il suffisait d’un écriteau, de quelques tables et des bancs pour qu’une auberge naisse.
Vers 1655, l’auberge de Boisdon est vendue à un certain Denys de La Ronde qui l’exploite au 20, côte de la Fabrique, à l’emplacement actuel du magasin Simons dans le Vieux-Québec.
Aujourd’hui, une plaque commémora
tive intitulée Jacques Boisdon, premier aubergiste de Québec, 1648 est bien visible pour les touristes. On peut y lire : « En ces murs, témoins de vives rencontres, résonnèrent rires et confidences des colons, coureurs des bois et soldats réunis. Ici, l’espace d’un moment on oubliait terres hostiles, misère et épidémies. Une seule devise faisait loi : fraterniser, festoyer et se réchauffer le coeur et l’âme pour oublier les rigueurs de l’hiver et les tracas de la survivance. »
Santé !