Le Journal de Quebec - Weekend
UNE « GRANDE FÉMINISTE » DE LA RÉVOLUTION TRANQUILLE
Les écrivaines Anne Hébert, Gabrielle Roy et Marie-Claire Blais considéraient Jeanne Lapointe comme leur mentore ; l’Université Laval lui rend enfin hommage en donnant son nom à un pavillon de son campus.
« Elle était une grande féministe et une artisane méconnue de la Révolution tranquille », commente Claudia Raby, qui consacre sa thèse de doctorat de l’Université Laval à la contribution de Jeanne Lapointe (1915-2006).
Celle que la journaliste Frédérik Dompierre-Beaulieu a qualifiée d’« intellectuelle oubliée » a rassemblé à Sainte-Foy le 8 mars dernier plusieurs personnalités politiques et universitaires dans le cadre de l’annonce de la nouvelle désignation du pavillon des sciences de l’éducation, qui portera le nom de Jeanne Lapointe.
Décrite comme une femme « au parcours remarquable » par la rectrice de l’Université Laval, Sophie D’Amours, Jeanne Lapointe a été une des premières laïques à décrocher un diplôme de cycle supérieur à son établissement.
Née à Chicoutimi en 1915,
Mme Lapointe est devenue la première femme à être nommée à un poste de professeure de littérature à l’Université Laval en 1940.
HONNEUR MÉRITÉ
Les photos la montrent souvent seule femme parmi des hommes en veston ou en soutane. En plus d’être anticléricale à une époque où l’Église régnait sur le milieu universitaire, elle était éprise de justice sociale et valorisait l’interdisciplinarité bien avant que ce terme soit à la mode…
Surtout connue comme critique littéraire — notamment dans Cité libre avec Pierre Elliott Trudeau et Gérard Pelletier —, cette pédagogue a participé à la réforme Parent, qui a redessiné entièrement le système d’éducation du Québec. Le pavillon qui portera son nom — le second du campus à rendre hommage à une femme — compte 17 étages occupés par l’enseignement et la recherche en sciences de l’éducation.
C’est un honneur mérité, selon Mme Raby, qui étudie l’oeuvre de Jeanne Lapointe depuis plusieurs années dans le cadre de ses recherches et qui a certainement contribué à la sortir de l’ombre.
FEMMES DANS L’ESPACE PUBLIC
« Son sens critique a été marquant pour plusieurs écrivaines, particulièrement pour Anne Hébert, dont elle relisait les textes et les éditait sévèrement », mentionne Mme Raby.
Son rôle ne se limitait pas aux oeuvres littéraires. Tout juste après la rédaction des 1500 pages du rapport Parent, elle a accepté de siéger à la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada (la Commission Bird) en 1967. Le rapport déposé en 1970 fera grand bruit.
Présente à l’inauguration du pavillon Lapointe, Martine Biron, ministre des Relations internationales et de la Francophonie et ministre responsable de la Condition féminine au gouvernement du Québec, a mentionné que Mme Lapointe se désolait du fait que nos livres d’histoire mettaient trop rarement les femmes en valeur.
« Je ne les trouve pas non plus dans les noms de rues. Il y a un gros travail de rattrapage à faire », a-t-elle lancé.
Au moment de l’arrivée des Européens, les Autochtones accèdent à ce territoire par un vaste réseau de sentiers appelés « portages ».
Tantôt canotant, tantôt portant leurs embarcations, ils se déplacent entre les fleuves Saint-Laurent et Saint-Jean, pagayant sur le lac Témiscouata et la rivière Madawaska ou, plus souvent, sur la rivière Saint-François et le lac Pohénégamook.
LE « CHEMIN FRANÇAIS »
À leur tour, les Français empruntent cette voie pour circuler entre l’Acadie et Québec et pour faire la traite des fourrures. En 1746, de la rivière du Loup au lac Témiscouata, ils aménagent – sur une largeur d’environ 1 m – le « chemin Français », aussi appelé le « portage du Témiscouata ». Celui-ci sert à des fins civiles (pour le transport du courrier), militaires (pour le déplacement des troupes), religieuses (pour celui des missionnaires) et commerciales (pour la traite des fourrures). Lors de la déportation, en 1755, plusieurs Acadiens l’utiliseront pour échapper aux Britanniques.
ROUTE CARROSSABLE
Après la Conquête, il faut attendre 1783 pour qu’une route carrossable de 3,6 m de large, le « chemin du Portage » ou le « Portage du Témiscouata », soit construite non loin de l’ancien sentier. Entre 1785 et 1786, la route est élargie à un minimum de 6,7 m, mais, faute d’être bien entretenue, elle se détériore rapidement.
Après qu’elle eut prouvé son intérêt stratégique lors de la guerre de 1812 et des rébellions de 1837-1838, on décide d’y investir pour assurer le passage des troupes, puis du courrier. Cependant, les difficultés d’entretien conduisent, à compter de 1856, à son remplacement par le « chemin du Témiscouata » ou « chemin Neuf » – qui contribuera activement à la colonisation et au développement de la région.
Au 20e siècle, cette voie sera transformée successivement en une section de la route nationale no 2 (années 1920), puis de la route 185 (1973), que remplace peu à peu l’autoroute 85, tout récemment renommée autoroute Claude-Béchard. Petit sentier deviendra grand… Cela dit, si vous préférez le vélo à la voiture, sachez que la piste cyclable du Petit Témis chevauche en partie le tracé du chemin du Portage de 1783!
L’organisme Les Forges de Montréal est alors menacé d’éviction par la Ville de Montréal. Le désarroi est grand pour le fondateur et forgeron, Mathieu Collette, sa famille et son équipe. Retour sur ce combat citoyen d’exception qui a permis de sauver et requalifier l’un des bâtiments méconnus du patrimoine municipal montréalais.
UN LIEU UNIQUE
C’est avec le feu du dieu Vulcain que le forgeron Mathieu Collette a su insuffler une seconde vie à la station de pompage Riverside, qui jadis protégeait Montréal des inondations printanières.
De retour après quatre ans de formation en France, c’est en 1999 qu’il s’installe dans l’édifice patrimonial abandonné depuis presque un demi-siècle.
Grâce à un bail accordé par l’administration du maire Pierre Bourque, son rêve se met en branle : faire découvrir au public l’art millénaire et quasi disparu de la forge traditionnelle.
La station Riverside est le bâtiment parfait pour ce projet. Tout en pierre grise, elle est à l’épreuve du feu. Elle conserve aussi sa grande cheminée construite pour les machines à vapeur, une composante idéale pour une forge.
Il a fallu néanmoins plusieurs années d’occupation et de nombreux travaux pour solidifier, assainir et assécher la structure afin de la débarrasser pour de bon des odeurs d’humidité.
UN PROJET MENACÉ
Si le vaste projet des Forges est soutenu par l’équipe du maire Bourque (19942001), les administrations suivantes de Gérald Tremblay et de Denis Coderre n’y accordent guère d’intérêt.
L’idée d’en faire un lieu culturel rassembleur voisin de l’Espace Verre aménagé dans une ancienne caserne de pompiers, et le point de départ d’un futur quartier des artisans au sein du secteur Bridge-Bonaventure, est loin de les séduire.
Considérant que l’organisme n’a pas respecté certaines conditions de la subvention octroyée en 1999, la Ville révoque le bail des Forges en 2016.
Cette résiliation est injustifiée pour de nombreux intervenants, mais aussi pour de simples citoyens qui déposent au conseil municipal une pétition rassemblant la signature de plus de 4000 personnes.
« Nous avons écrit à la Ville en leur disant : Réveillez-vous ! Nous allons encore nous retrouver avec une autre situation d’un patrimoine orphelin. Nous avons ici [aux Forges de Montréal] une situation heureuse. Plus qu’heureuse, c’est merveilleux », résume Dinu Bumbaru, directeur des politiques à Héritage Montréal, dans le documentaire Fondations d’Olivier D. Asselin en 2016.
SAUVÉE DE JUSTESSE
À la toute fin du mandat du maire Coderre en 2017, l’éviction est levée au grand soulagement de l’organisme.
Appuyé par l’administration de Valérie Plante et le gouvernement du Québec, le projet progresse en tant que musée et école de forge.
Le 19 janvier 2024, dans le cadre d’une entente engageant aussi la Société immobilière du Canada et la Ville, Les Forges de Montréal deviennent officiellement le propriétaire de l’ancienne station de pompage Riverside et du terrain adjacent.
L’organisme peut enfin poursuivre avec confiance leur travail. Grâce au soutien de la communauté et à leur immense de travail de requalification, ce lieu patrimonial revit et leur permet de faire découvrir l’art millénaire de la forge à la population.
LE SAVIEZ-VOUS ?
Reconnues comme l’une des meilleures en Amérique du Nord, Les Forges de Montréal sont souvent mises à contribution pour fabriquer des outils d’antan nécessaires pour la rénovation de bâtiments patrimoniaux.
En 2023, Mathieu Collette a façonné une soixantaine de haches médiévales de type doloire. Elles permettent la reconstruction des pièces de charpente de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris qui a été dévastée par un grave incendie le 15 avril 2019.
Datant de 1887, la station Riverside, ou Mill comme on l’appelle à l’époque, a été érigée selon les plans des architectes de renoms Maurice Perrault et Albert Mesnard, comme sa soeur au Pied-duCourant, la station Craig, édifiée parallèlement la même année.
Véritable tour de force, ces deux installations, combinées avec l’aménagement de la nouvelle digue Saint-Gabriel à Pointe-Saint-Charles, ont été réalisées un an seulement après les inondations records de 1886 qui avaient semé la désolation dans la grande région de Montréal et tout particulièrement dans le Vieux-Montréal et ses abords.
Au cours des décennies suivantes, de nombreux aménagements plus modernes sont réalisés pour faciliter la navigation fluviale et contrôler les inondations.
C’est ainsi que ces installations de la fin du 19e siècle deviennent graduellement obsolètes. La station Riverside est aujourd’hui le plus ancien legs de ces grands chantiers.