COMME UN « SOLDAT AU FRONT »
Des médecins se confient et dénoncent les lacunes du réseau
Patients laissés pour compte, manque de ressources, alcoolisme: des médecins brisent le silence et se confient sur les dilemmes éthiques qui nuisent à leur travail et à la qualité des soins.
«J’ai vu combien de fois des gens mourir dans des corridors de façon indigne selon la condition humaine parce que les administrateurs de l’hôpital ferment des lits pour équilibrer leur budget, parce qu’eux ne veulent pas être sous la tutelle du ministre de la Santé. Ils sont de bons administrateurs s’ils équilibrent leur budget. Les patients, c’est un mal nécessaire.»
Dilemmes éthiques
Ce témoignage d’un médecin est tiré de la thèse de doctorat de Christian Genest, qui s’intitule «La souffrance éthique dans le travail des médecins». Déposé l’année dernière à l’Université Laval, le document lève le voile sur la difficile réalité des médecins au quotidien.
Pour y parvenir, l’auteur a rencontré 20 médecins de partout au Québec, omnipraticiens ou spécialistes, qui ont été confrontés à des dilemmes éthiques dans leur travail.
Hier, le Journal révélait que de plus en plus de professionnels ont recours au programme d’aide aux médecins du Québec. Une hausse qui s’explique lorsqu’on lit certains des témoignages du document.
«Je me rappelle d’un patron qui sentait l’alcool quand il arrivait à la salle d’op. C’était la loi du silence. On ne parle généralement pas des comportements répréhensibles de collègues. On protège, on couvre, on camoufle et répare. Mais on ne dénonce pas», a confié un médecin.
«Soldat au front»
Les résultats des rencontres avec les répondants ont été placés dans trois catégories: «l’étau de resserre», une «bataille perpétuelle» et «une collaboration imposée». Selon Christian Genest, les médecins sont placés dans des dilemmes où ils doivent trancher entre la qualité et la quantité de travail.
«C’est toute une question monétaire, il faut libérer les lits, il faut que le test soit fait parce qu’il faut libérer le lit pour que quelqu’un d’autre puisse rentrer», indique un répondant.
Les nombreux obstacles qu’ils rencontrent leur donnent aussi le sentiment d’être comme un «soldat au front», seul et sur la première ligne. Par ailleurs, l’omertà qui prévaut parfois donne à certains l’impression d’être contraints à un silence complice.
Selon M. Genest, l’erreur de diagnostic est aussi au coeur des préoccupations.
«Ils n’hésitent pas à parler de cette hantise comme d’une épée de Damoclès suspendue au-dessus de leur tête.»
Ils doivent se battre
Par ailleurs, l’auteur a constaté que la difficulté d’accès aux ressources du système, notamment pour les tests de laboratoire, met de sérieux bâtons dans les roues des médecins. Ces derniers ont même l’impression de devoir «se battre» pour le patient.
«Les médecins ont comparé certains hôpitaux dans lesquels ils oeuvrent comme de «grosses machines», devenues inhumaines, qui ne veillent qu’à rencontrer leurs exigences de performance financière», souligne M. Genest.
Ce der nier conclut d’ailleurs que ce constat doit forcer les autorités à agir non seulement pour la santé des médecins, mais aussi pour celle de toute la population.