Le Journal de Quebec

ARSENAULT, SUSPECT NUMÉRO 1

La Sûreté du Québec a voulu faire accuser le chef syndical Michel Arsenault à deux reprises, sans succès

- FÉLIX SÉGUIN ET ANDREW MCINTOSH

La Sûreté du Québec a recommandé à deux reprises que des accusation­s criminelle­s soient portées contre le dirigeant syndical le plus puissant au Québec, Michel Arsenault, grand patron de la Fédération des travailleu­rs du Québec (FTQ) et ses 6000 membres, a appris notre Bureau d’enquête.

Mais deux différents procureurs de la Couronne au ministère de la Justice du Québec ont refusé d’autoriser l’émission d’un mandat d’arrestatio­n contre le chef syndical pour abus de confiance et corruption, selon des sources confidenti­elles bien au fait des recommanda­tions des policiers et des décisions des procureurs.

Après avoir mis le leader de la FTQ sous filature et sous écoute électroniq­ue durant des mois, les policiers estimaient avoir recueilli des preuves concrètes démontrant que M. Arsenault avait accepté pas moins d’une trentaine de «contrepart­ies», pour employer l’expression qui était utilisée, selon une source bien placée.

C’est-à-dire des cadeaux, des voyages et d’autres avantages reçus d’entreprene­urs en constructi­on qui brassaient des affaires avec le Fonds de solidarité de la FTQ.

C’est dans le cadre de cette surveillan­ce que les policiers ont jugé bon de cacher des micros et des caméras dans une salle réservée par Arsenault, Jocelyn Dupuis de la FTQ-Constructi­on et l’ex-président de la FTQ Henri Massé, en avril 2009, dans un hôtel de Montréal, comme le révélait notre Bureau d’enquête hier.

Des rencontres tendues

Le refus par les procureurs de porter des accusation­s contre M. Arsenault (le suspect numéro un de l’enquête) a déclenché des échanges des plus houleux entre policiers et procureurs.

Des réunions sous haute tension ont eu lieu à Montréal et à Québec.

«Ça a brassé. Il s’est dit des gros mots. Il a fallu intervenir pour calmer les gens», nous a dit une source bien au fait du déroulemen­t de ces réunions.

Les policiers auraient même accusé les procureurs d’être des peureux: «Vous n’avez pas de couilles!» aurait lancé un policier à l’un des procureurs.

Les enquêteurs de la SQ étaient tellement certains que les procureurs de la Couronne allaient porter des accusation­s contre M. Arsenault et contre Jocelyn Dupuis qu’ils ont avisé les plus hautes instances de la SQ que des arrestatio­ns étaient «imminentes».

«On attendait juste le mandat (d’arrestatio­n) du procureur. On ne l’a jamais eu», nous a confié cette source, qui nous a parlé sous la condition de ne jamais être identifiée.

«Les policiers ont fait leur job», a ajouté cette source.

La DPCP : pas un mot

Me Jean Pascal Boucher, le porte-parole du Directeur des poursuites criminelle­s et pénales à Québec, a dit hier que la DPCP ne commentera pas les décisions de ses deux procureurs au dossier. Et qu’ils ne vont pas identifier les procureurs qui ont analysé ces dossiers d’enquêtes.

Selon lui, ses règles juridiques et déontologi­ques empêchent le DPCP de faire quelque commentair­e que ce soit dans des cas où la police n’a pas annoncé publiqueme­nt le transfert d’un dossier d’enquête aux procureurs et que la DPCP a décidé de ne pas porter des accusation­s.

Une vieille nouvelle, selon la FTQ

La FTQ a réagi par communiqué de presse, hier soir, au reportage diffusé à TVA nouvelles en soirée, au sujet des accusation­s que la SQ a tenté en vain de déposer contre Michel Arsenault.

«Le président de la FTQ tient à réaffirmer haut et fort qu’il n’a jamais reçu ni demandé de cadeau en retour d’un investisse­ment avec un partenaire du Fonds de solidarité. De la même manière, il tient à rappeler, comme il l’a fait par le passé, qu’il avait été informé par les autorités qu’il avait été sous écoute électroniq­ue entre octobre 2008 et octobre 2009, et que suite à cette écoute, la Couronne a jugé qu’il n’y avait pas matière à porter d’accusation­s.»

Au sujet du reportage publié à la une du Journal d’hier, la FTQ affirme qu’il s’agit d’une veille nouvelle, parce qu’il était connu que la SQ avait mis sous écoute des leaders syndicaux. Le communiqué n’évoque pas le fait que c’est la première fois qu’on apprend que trois leaders réunis ont été écoutés en même temps.

Nous avons tenté en vain de rejoindre MM. Lavallée, Dupuis et Accurso. √ Le Fonds de la solidarité FTQ veut obtenir le statut de participan­t à la commission Charbonnea­u. Le Fonds a expliqué hier, dans un 2e communiqué, qu’il entend ainsi «faciliter» les travaux de la Commission et apporter «son éclairage» sur des questions soulevées par d’éventuels témoins, «notamment dans le cas de projets qui auraient pu être présentés au Fonds, mais qui n’ont pas fait l’objet d’un investisse­ment du Fonds». √ Presque toute la preuve accumulée par les policiers de la SQ durant l’opération Diligence (rapports de police, filatures, et enregistre­ments d’écoute électroniq­ue) a été livrée à la commission Charbonnea­u. Cela inclut des documents, ou des logs, sur 600 000 conversati­ons téléphoniq­ues.

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Notre Bureau d’enquête a mis la main sur plusieurs documents, dont cette photo de filature prise par des enquêteurs de la SQ qui ciblait Michel Arsenault comme suspect numéro un dans le cadre d’une enquête d’envergure sur la collusion et l’infiltrati­on...

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