La nationalisation des valeurs
Pour cerner les valeurs des Québécois, il faut d’abord définir qui est
Québécois
Plus que quelques jours avant le dévoilement de la très controversée charte des valeurs québécoises. Doit-on la redouter ou la souhaiter?
Pour l’instant, nous savons que l’État pourrait imposer un code vestimentaire à ses employés. À l’instar de tout employeur, l’État est libre d’empêcher le port de certains accessoires. Ce droit est d’ailleurs protégé par la Loi sur les normes du travail.
Toutefois, nous aurons beaucoup de chance si Québec se limite à réglementer l’habillement des employés de l’État. En revanche, s’il entreprend effectivement de définir les valeurs québécoises, au sens littéral du terme, le gouvernement péquiste se lance dans un exercice périlleux.
DÉFINITIONS
Premièrement, parce que si les valeurs inscrites dans la charte ne sont rien d’autre que des valeurs humaines universelles, la montagne aura alors accouché d’une souris et le PQ sera la risée de tous.
Deuxièmement, parce que si, au contraire, le PQ fait appel à des valeurs non universelles, sur quelle base les aurat-il donc choisies? Il n’y a eu aucune consultation publique pour identifier ce qui est cher aux Québécois, aucun recensement, aucune étude à grande échelle, pas la moindre petite enquête.
Troisièmement, parce que pour cerner les valeurs des Québécois, il faut d’abord définir qui est Québécois. Quiconque vit au Québec? Sinon, après combien d’années, ou de générations, devient-on québécois? Ou encore est-ce que n’est Québécois que celui dont les racines remontent au XVIIIe siècle ou même avant? Notons alors que, même dans ce cas, le débat autour de la kippa ne peut être justifié puisque des Juifs pratiquants ont officiellement habité le Québec dès la Conquête (pensons à Aaron Hart et à son fils, le politicien Ezekiel Hart né à Trois-Rivières) et que Montréal comptait une synagogue dès 1768.
À moins, évidemment, que notre gouvernement considère comme Québécois uniquement les Blancs, francophones, et catholiques non pratiquants dont les ancêtres remontent à la Nouvelle-France. Cette définition aurait toutefois pour corollaire qu’un immigrant sera toujours qualifié d’immigrant et qu'il ne pourra ainsi jamais se sentir chez lui. Dans ce cas, n’est-il pas naturel qu’il veuille protéger ses racines?
Quatrièmement, parce qu’une charte aurait pour effet de cristalliser dans le temps des valeurs qui sont pourtant en constante évolution. Pourrions-nous imaginer être soumis à une charte rédigée par Maurice Duplessis et qui stipule que l’État peut fricoter avec l’Église, cadenasser les journaux «communistes», légiférer contre les syndicats et les journalistes, et interdire aux femmes d’ouvrir un compte bancaire? Serions-nous ravis de devoir aujourd’hui consacrer temps et énergie pour amender une charte anachronique? Alors pourquoi vouloir enfermer les générations futures dans les valeurs présentes?
LIBERTER DE CHOISIR
Le PQ s’apprête à dévoiler une charte sans même avoir défini qui est Québécois, sans avoir consulté la population concernée et sans expliquer comment il sélectionne les valeurs qu’il juge pertinentes. Comment donc espérer que le document sera à l’image de la population?
En réalité, cette charte n’est rien de plus qu’un effort pour nous imposer pour les décennies à venir des valeurs très circonscrites et ponctuelles: celles que le gouvernement de Mme Marois entretient en 2013. Cette charte, c’est l’appropriation par l’État des valeurs des individus. C’est la nationalisation des valeurs!
Personnellement, j’aimerais continuer à être libre de choisir ce qui est important pour moi. Pas vous?