Le Journal de Quebec

Réforme du mode de scrutin : une fausse bonne idée

- PIERRE MARTIN Professeur de sciences politiques à l’université de Montréal et chercheur au CÉRIUM L@ Pmartin_udem

Je suis aussi sceptique quant à la possibilit­é d’une réforme dans un avenir prévisible.

Dans une lettre publiée jeudi, un groupe de personnali­tés éminentes en Appelle Aux Candidats À la Chefferie du Parti québécois pour qu’ils remettent Au premier plan la réforme du mode de scrutin Afin d’y introduire des éléments de proportion­nelle. Est-ce vraiment une Bonne idée?

J’ai beaucoup de respect pour les signataire­s de cette lettre et il est difficile de ne pas être d’accord avec l’objectif d’améliorer notre vie démocratiq­ue et nos institutio­ns. Je demeure toutefois sceptique quant à la nécessité de ramener encore une fois cette question au centre des débats politiques, surtout du point de vue du Parti québécois.

Je suis aussi sceptique quant à la possibilit­é d’une réforme dans un avenir prévisible. Quel gouverneme­nt y trouverait son compte? Pourquoi un parti changerait-il le système qui l’a amené au pouvoir? Combien de gouverneme­nts québécois ont concrèteme­nt donné suite à leurs promesses de réformer le système par le passé?

La Colombie-britanniqu­e et l’ontario ont fait de grands pas vers la réforme de leurs modes de scrutin, mais ces projets ont été rejetés par les électeurs. Le référendum est devenu de facto le test de légitimité de telles réformes, mais il serait très improbable qu’on atteigne un degré suffisant de concordanc­e d’intérêts entre les partis et les groupes pour qu’une réforme puisse passer un tel test au Québec.

NOTRE SYSTÈME FONCTIONNE-T-IL SI MAL QUE ÇA ?

La lettre de jeudi rappelle que René Lévesque qualifiait le mode de scrutin britanniqu­e de «démocratiq­uement infect». Effectivem­ent, il y a souvent des écarts entre les distributi­ons des votes et des sièges, mais ces écarts ne sont pas énormes et le système a permis une saine alternance entre les grands courants politiques représenté­s par les principaux partis.

Il faut aussi accorder un certain mérite à un système qui favorise de grands partis pragmatiqu­es et ouverts aux débats internes qui alternent dans la formation de gouverneme­nts relativeme­nt stables, plutôt que des gouverneme­nts instables qui dépendent de tractation­s secrètes entre représenta­nts de partis aux intérêts plus étroitemen­t définis.

LE RISQUE DE MISER SUR UNE RÉFORME HYPOTHÉTIQ­UE

Comme plusieurs signataire­s de la lettre de jeudi, les partisans de la réforme du mode de scrutin sont souvent liés à la gauche souveraini­ste. Dans l’abstrait, un système proportion­nel pourrait fort bien favoriser une coalition souveraini­ste gagnante, mais la persistanc­e du débat sur la réforme a nui au Parti québécois.

En effet, ce débat a entretenu l’illusion de l’imminence d’une réforme. Par conséquent, de nombreux souveraini­stes ont eu tendance à structurer leurs attentes et à concevoir leurs stratégies en fonction d’un système qui n’existe pas encore et qui a peu de chances de voir le jour. On n’arrive pas à faire adopter sa vision du monde par le PQ? Pas de problème! Si on postule que la proportion­nelle est imminente, la formation d’un parti qui n’a aucune chance dans le système actuel devient une stratégie gagnante.

Dans l’abstrait, le changement des règles du jeu a du mérite, mais pour gagner il faut jouer en fonction des règles qu’on a, pas de celles qu’on souhaitera­it avoir.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada