Le Journal de Quebec

L’intoxicati­on idéologiqu­e

- MATHIEU BOCK-CÔTÉ Sociologue, auteur et chroniqueu­r cmathieu. bock-cote @quebecorme­dia.com L@mbockcote

On se souviendra longtemps des événements des derniers jours à L’UQAM. Une petite minorité de militants qui se réclame d’une manière ou de l’autre de l’anarchisme, soutenue par une frange minoritair­e, mais radicale du corps professora­l, s’est barricadée dans l’université pour se livrer à une mauvaise comédie révolution­naire, qui aurait pu bien mal tourner. Comment expliquer une telle dérive?

UN PÉTARD MOUILLÉ ?

Il y a quelques semaines encore, la gauche étudiante espérait provoquer une crise sociale au Québec, en rejouant le printemps 2012. On s’en souvient, à ce moment, le Québec s’était enflammé. La grève étudiante avait canalisé un profond malaise social. Alors, pourquoi ne pas frapper à nouveau un grand coup et déclencher des turbulence­s sociales? La lutte contre l’austérité en fournirait le contexte.

Sauf que cela n’a pas marché. Non seulement la grève était mal préparée, mais, à tort ou à raison, la société québécoise semble moins disposée à se soulever qu’il y a trois ans. Les réserves de colère semblent à sec. Alors ceux qui espéraient que la grève conduise à la révolution se radicalise­nt au même rythme

où la grande majo- rité de la population se détourne d’eux. Moins la population désire s’embarquer dans leur lutte, plus ils la croiront bonne à n’importe quel prix.

Ils basculent alors dans un monde parallèle où ils sont investis d’une mission: résister par tous les moyens à une société qu’ils décrètent fasciste. Ils chercheron­t même à provoquer des affronteme­nts de plus en plus marqués avec les forces de l’ordre pour dévoiler, toujours selon leur logique, le caractère fondamenta­lement répressif de notre société. Peut-être alors le commun des mortels sera-t-il illuminé et rejoindra le camp contestata­ire.

MAI 68

La comparaiso­n avec Mai 68 est peutêtre ici éclairante. On le sait, en Mai 68, la France s’était embrasée, les barricades avaient poussé à Paris, le pouvoir luimême s’était senti fragilisé. Puis l’ordre avait été rétabli. Mais plusieurs avaient connu dans la contestati­on une forme d’orgasme politique. Ils avaient senti que tout était possible. Ce sentiment est grisant. D’un jour à l’autre, on se sent happé par l’histoire, on transfigur­e sa vie. On ai- merait que cela dure toujours.

Au fil des ans, plusieurs ont cherché à refaire Mai 68, mais la société ne suivait plus. Les sociétés n’ont pas toujours envie de vivre sous le règne des émotions fortes. Il y a des moments d’explosion sociale. Mais la vie ordinaire a aussi ses droits. C’est alors que les groupuscul­es révolution­naires et sectaires ont pullulé. Ils s’enfermèren­t dans un radicalism­e stérile pourrissan­t la démocratie. Il n’est pas impossible qu’on assiste à un semblable phénomène maintenant.

La cause étudiante est noble et notre société, de temps en temps, doit être remise en question vivement. Mais les individus qui s’encagoulen­t tellement ils sont intoxiqués idéologiqu­ement n’en représente­nt pas la meilleure part. Ils disent rêver de justice sociale. Ils rêvent surtout d’un affronteme­nt violent avec les grandes institutio­ns, quitte à prendre en otage la plus noble d’entre elles, l’université. Ils se disent attachés au savoir. En fait, ce sont des enragés fanatisés.

Plusieurs avaient connu dans la contestati­on une forme d’orgasme politique. Ils avaient senti que tout était possible.

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