Désincarner Alcan
L’identification corporative Alcan est inscrite dans L’ADN du Québec, et du Canada. C’est ce que disait, attristé, l’ancien président de son conseil d’administration, Me Yves Fortier, un ami de Pierre Elliott Trudeau qu’on ne peut soupçonner d’être un nat
La décision des dirigeants de l’angloaustralienne Rio Tinto d’effacer progressivement l’appellation Alcan ne se justifie pas par un argument financier. Du papier à lettres distinct et des enveloppes représentent des grenailles pour une telle compagnie qui brasse des milliards.
Pour les Saguenéens et les Jeannois, par contre, Alcan est intimement liée à l’histoire de leur région et de leurs familles.
L’entreprise est une référence pour eux, un repère.
Alcan est aussi directement liée à leur nationalisme économique et à leur nationalisme tout court.
Le passé de militantisme syndical de ses travailleurs a également essaimé sur tout le Saguenay-lac-saint-jean et souvent leurs conditions de travail ont remorqué les conventions collectives dans la région.
Alcan est une composante de la légendaire fierté des Bleuets, d’abord pour leur force brute de travail dans les premières usines et, ces dernières décennies, pour la haute teneur technologique de l’entreprise.
ÉTOUFFER L’IDENTIFICATION
L’abandon de la signature Alcan trahit à première vue un manque de sensibilité à la forte identification régionale et québécoise de l’entreprise, depuis le dé- but du siècle dernier.
Ou cette dimension a échappé aux dirigeants de Rio Tinto à Londres et à Melbourne ou ceux-ci veulent délibérément l’étouffer pour se sentir les mains plus libres lors de décisions ultérieures impopulaires.
Cette dernière hypothèse est malheureusement la plus plausible dans la conjoncture actuelle.
Le prix de l’aluminium a chuté comme celui des autres métaux.
En 2007, lors de l’achat par Rio Tinto pour 38 G$, Alcan assurait 12 000 emplois au Québec; en 2015, il n’en reste plus que 4500. Quelque 800 personnes s’affairaient au siège social de Montréal; il n’en resterait plus que 250.
DANGERS D’UNE PERTE DE POIDS
Les gouvernements du Canada et du Québec ne pouvaient réalistement bloquer cette méga transaction à l’échelle planétaire.
L’eussent-ils fait, que la chute des prix et les pertes d’emplois se seraient produites de la même façon. Le phénomène est mondial.
Rio Tinto profite cependant de généreux avantages concurrentiels au Québec, notamment au niveau de l’hydroélectricité à bas prix produite à proximité sur la Péribonka. «L’entente de continuité» avec Rio Tinto garantissait en contrepartie le maintien d’un siège social et financier décisionnel au Québec; pas d’une boîte postale.
Le principal danger actuellement est la perte du poids d’alcan Canada dans des décisions sur des transferts de production, de gestion et de recherche, ailleurs sur la planète. Le prix des métaux est cyclique. Il faut être autour de la table pour minimiser les impacts des phases de vaches maigres et maximiser ceux des phases de vaches grasses.
Les gouvernements Harper et Couillard doivent donc exercer de fortes pressions pour le respect intégral de l’entente de continuité avec Rio Tinto et conserver l’identification Alcan au Canada.
Leur grand échec est de ne jamais avoir réussi à amener les alumineries à faire de la transformation locale en produits finis de large consommation. Ces dernières auraient ainsi un double lien et une double dépendance à leur milieu.
L’abandon de la signature Alcan trahit à première vue un manque de sensibilité à la forte identification régionale et québécoise de l’entreprise