On ne voit plus leurs yeux…
Connaissez-vous la tribu des têtes baissées ?
C’est le journaliste français Guy Birenbaum qui a inventé cette expression.
«Smartphones enfoncés dans la main, ces piétons connectés avancent dans nos rues d’un pas mécanique, les yeux rivés vers le bas, en louchant sur leur écran.
«Presque plus personne ne regarde au large. Au loin. Les membres de la tribu des têtes baissées loupent des conversations, manquent des paysages, ratent des ciels et surtout des rencontres, des moments.
«Et puis, on ne voit plus leurs yeux.»
LA STAR DE LA BLOGOSPHÈRE
Birenbaum sait de quoi il parle.
Pendant des années, il faisait partie de cette tribu. C’était même un de ses membres les plus influents.
Éditeur, journaliste et chroniqueur radio, ce boulimique d’information passait son temps sur les réseaux sociaux. Pas une histoire ne sortait sur internet sans qu’il l’ait lue et commentée, la plupart du temps dans la minute.
Plus branché que ça, tu craques.
Il a craqué, d’ailleurs. En deux, comme un arbre. Dépression majeure, burn-out.
«L’actualité en continu m’a brûlé. C’était rendu que je ne pouvais pas regarder un paysage sans me demander s’il ne ferait pas une photo qui plairait sur Instagram.»
Il bloguait même en faisant son jogging matinal. Un vrai accro. Toujours à regarder le nombre de commentaires générés par ses textes. Et à faire des comparaisons avec ses collègues…
Suis-je plus lu que Machin? Plus retweeté que Truc? Ma cote est-elle en train de bais- ser?
Pour conserver son statut, il écrivait et retweetait n’importe quoi. Des vidéos insipides, des images débiles, des vannes insultantes, des conneries.
Juste pour générer un «buzz».
«Tu as vu? Mon dernier blogue a été retweeté 5000 fois!»
«J’ai fini par ressembler à la caricature de ce que j’ai toujours détesté», écrit-il.
LA REVANCHE DES FRUSTRÉS
Faites-vous partie de la tribu des têtes baissées ?
Dans Vous m’avez manqué: histoire d’une dépression française, Birenbaum raconte sa descente aux enfers… «On blogue, on tweete, on Facebooke, on Googlelise, on partage des contenus, mais on n’écrit pas.
«On clique sur un article sur un site ou sur un blogue. On suit un lien. Puis un autre. Et encore. On atterrit ailleurs. On se cherche. On trouve, surtout, ce qu’on ne cherchait pas…
«Trois heures plus tard, impossible de savoir comment on est arrivé là où l’on est ni d’avoir le moindre souvenir d’où on est parti.» Et tout ça pour quoi? Pour du vide. Pour plaire à des gens qu’on ne connaît pas et qu’on n’a jamais vus.
«Selon une étude américaine, plus le taux d’emploi d’une ville ou d’une région est faible, plus on y trouve d’utilisateurs de Twitter.»
Pas étonnant que les médias sociaux soient devenus des égouts à ciel ouvert. Internet est devenu le déversoir des frustrés, des marginaux et des laissés pour compte.
Enfin, on leur donne la possibilité de prendre leur revanche et de chier sur la tête de tous les privilégiés du système, les politiciens, les journalistes, les vedettes…
«Certaines de ces personnes préfèrent se passer de chauffage que de connexion internet…»
Qu’elle est belle, la révolution technologique, non?