L’art de la métamorphose
La journaliste française Sigolène Vinson, épargnée par les auteurs de l’attentat terroriste de Charlie Hebdo en janvier dernier, raconte l’histoire d’une enseignante qui quitte tout après un chagrin d’amour dans un roman d’une grande poésie, Le caillou. À travers son héroïne, cette survivante affirme qu’un coeur blessé peut continuer à aimer, qu’il n’est pas condamné à choisir entre l’oubli et la colère.
L’écrivaine, en tout e simplicité, a passé quelques jours au Québec pour présenter Le caillou, un roman écrit et déposé chez son éditeur plusieurs mois avant les événements. Son héroïne décide de tout plaquer pour partir en Corse, sur les traces de son voisin Monsieur Bernard, sculpteur, après le décès de celui-ci. Elle parle d’amour, de chagrin d’amour, de combat contre la matière, de sculpture, de rocher et de métamorphose.
Sigolène Vinson, une femme au parcours extraordinaire, souhaitait explorer la matière, dans ce roman saisissant où une femme a envie de se transformer en roche pour ne plus avoir mal. «Il y a cinq ans, je m’étais inscrite en auditeur libre en Travaux dirigés devant les oeuvres, en sculpture, à l’école du Louvre. J’ai découvert la sculpture et j’avais un professeur passionné qui me passionnait. Le déclic s’est fait lorsque je me suis retrouvée devant le gisant de Catherine de Médicis fait par Della Robbia», se souvient-elle.
Après, d’autres idées lui sont venues. Elle s’est demandé pourquoi l’homme avait tant besoin de transformer la terre et de lui donner forme humaine. «Je me suis dit: si on tentait l’inverse? Si un être humain décidait de devenir une pierre?»
Une autre idée, métaphorique celle-là, s’est aussi greffée au processus. «Quand on devient minéral, on ne ressent plus rien. On n’a plus de douleur.» Écriture pr é monitoire ? «C’ est un peu dérangeant... Le personnage, pour ne plus avoir mal, devient un caillou. Et moi, maintenant, tout le travail, après avoir eu si mal, c’est au contraire de ne pas devenir un caillou. Ne pas devenir insensible et me couper de tout ce qui me constitue . Le risque, après un choc comme ça, c’est de se couper du monde, de marcher à côté du monde.»
LA CORSE
Son roman fait voyager, rêver, réfléchir. Elle qui a grandi dans un pays de cailloux — Djibouti, sur la côte Est de l’afrique — explore le côté minéral des choses de façon admirable. Petite, elle allait d’ailleurs en vacances en Corse, qu’elle décrit magnifiquement dans le roman.
«Je trouve ça encore sauvage, et les habitants sont très pudiques. Ils parlent peu, mais quand ils s’expriment, ce sont des vérités qui sortent. Ils ont un sens de la poésie très prononcé. Ils ont un sens de l’imaginaire qui est très fort. Ils ont fait de l’ennui un art, je trouve.» Sigolène Vinson est journaliste à Char
lie Hebdo et à Causette. Elle est l’auteure d’une autofiction ( J’ai
déserté le pays de l’enfance, Plon, 2011) et de plusieurs polars écrits avec Philippe Kleinmann. Un autre de ses romans sortira en août, chez Plon.