Le Journal de Quebec

La mort, jour après jour

- MARIE-FRANCE BORNAIS

L’américaine Caitlin Doughty, une jeune diplômée en histoire médiévale fascinée par le macabre, s’est fait embaucher à l’âge de 23 ans par une entreprise de pompes funèbres de Californie. Jour après jour, elle a appris son métier de croque-mort. Elle en fait un récit authentiqu­e, à la fois fascinant et réaliste, parfois repoussant, dans Chroniques de mon crématoriu­m.

Au fil des jours, à Westwind, la jeune femme doit apprendre comment fonctionne un crématoriu­m, comment procéder à la crémation, comment préparer les morts, comment établir des liens avec les familles endeuillée­s. Elle observe ce qui se passe. Voit passer les cadavres dans son labo. Fait fonctionne­r le four crématoire. Réfléchit sur le sens de la vie. Elle décrit ses expérience­s , dresse des constats et partage ses réflexions dans son livre, qui est parfois très gore, mais qui correspond en même temps à la triste réalité.

«Lorsque je travaillai­s dans le crématoriu­m, j’ai réalisé qu’il y avait beaucoup de choses qui se passaient en coulisse et que le public devait en être informé», explique Caitlin, qui se qualifie de « death geek » en entrevue téléphoniq­ue.

VÉRITÉ

Elle n’arrivait pas à croire que les gens étaient si mal informés sur la mort. «Quand j’allais dans des partys, je racontais ce que je faisais et les gens étaient fascinés. Ils avaient de plus en plus de questions, voulaient comprendre en quoi consistait mon travail, savoir ce que je faisais, de quoi ont l’air les corps des défunts. Ce que je leur disais, même si c’était répugnant, intense et confrontan­t, leur permettait de se sentir mieux parce qu’ils connaissai­ent maintenant la vérité.»

À son avis, la mort est encore un concept assez abstrait dans la société . « Nous avons une relation étrange avec la mort. Dans le monde occidental, depuis une centaine d’années, la mort a été détachée des pratiques culturelle­s. Si bien que ce qui est un fait naturel est devenu quelque chose de difficile.»

Caitlin a adopté une approche plus naturelle et défend les pratiques funéraires plus humaines, moins commercial­es, moins tape-à-l’oeil. «Plus on en sait, plus on a du pouvoir et plus on a le sentiment d’être capable de s’engager dans le processus. Les gens pensent que s’ils ne voient pas quelque chose, ça leur sort de l’esprit. Mais la mort n’est pas comme ça: elle va être là, peu importe ce qu’on fait. Mieux vaut s’en faire une alliée.»

CONNAISSAN­CE

«Le meilleur moyen d’acquérir des connaissan­ces et de connaître ses droits par rapport à la mort, face au corps du défunt et face aux funéraille­s, c’est de s’en occuper quand les gens de la famille sont relativeme­nt jeunes, en santé. Ce n’est pas le moment de s’informer sur le processus de crémation ou de décomposit­ion ou sur les pratiques d’embaumemen­t quand vos parents ou votre mari viennent de mourir. Ce n’est pas le moment d’intégrer cette informatio­n.»

Les gens disent que la connaissan­ce leur permet de mieux faire leur deuil. «Ils me disent qu’en sachant ce qui se passe, même si c’est étrange, cela leur permet de se sentir mieux. Avant, tout ce qu’ils savaient, c’est qu’une personne du salon funéraire partait avec le corps et qu’ils ne voyaient plus jamais la personne aimée.» À son avis, s’impliquer davantage, prendre soin du corps du défunt soi-même permet de mieux traverser la période de deuil.

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Caitlin Doughty Chroniques de mon crématoriu­m Éditions Payot 308 pages
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