BERLIN, la tranquille anarchie
Mes mains sont moites, une émotion m’étreint l’estomac. Ce voyage sera différent. Il revêt une importance particulière, car j’ai décidé de cesser de repousser cette destination de peur que l’expérience empirique ne heurte de plein fouet mes fantasmes idyl
Boulimique d’information depuis toujours, j’ai suivi son histoire pendant ma jeunesse et vécu sa libération avec excitation en 1989. Berlin me paraissait alors si proche et si loin à la fois. Une mystérieuse impression de la connaître déjà, peut-être même d’y avoir déjà vécu dans une ancienne incarnation. Une mystérieuse affinité avec la culture germanique, comme en témoigne encore mon penchant pour le groupe Rammstein, les crayons Staedtler et les souliers Josef Seibel.
C’est avec une fébrilité difficile à contenir que je mets enfin les pieds sur le sol allemand, prête à apprécier l’efficacité teutonne dès mon arrivée à l’aéroport. Mes attentes seront légèrement ébranlées par la perte de mes valises, une pre- mière pour moi. Heureusement, celles-ci me rejoindront rapidement dans mon modeste hôtel de l’inquiétante Hermannplatz, en plein coeur du bouillonnant quartier turc Kreuzberg.
liberté
Dès le premier soir, je suis séduite par la vie grouillante qui anime chaque espace vert, chaque artère de cette immense métropole de 892 km2. Une belle jeunesse s’y ébat à toute heure du jour dans la plus tranquille anarchie. Habituée de vivre dans l’environnement structuré et sécuritaire qui est le nôtre, je suis légèrement troublée, pendant les premiers jours, par le chaos ambiant avant de réaliser qu’il s’agit plutôt de liberté.
Imaginez un endroit où les vélos s’enfourchent sans casque sur les trottoirs et les chiens se promènent sans laisse. Où chaque dépanneur laisse sur le comptoir un décapsuleur pour vous permettre d’ouvrir immédiatement une bière bien froide. Où vous pouvez descendre cette bière sur le trottoir, assis dans un parc ou sur un pont avec
vos amis. Où les transports collectifs fonctionnent en continu chaque fin de semaine pour vous mener d’une fête à une autre. Où l’on vend de délicieux sandwichs doner à 2 euros (2,79 $) partout et à toute heure.
À bien y penser, est-ce vraiment difficile de croire qu’une ville célèbre pour le mur hideux qui la ravageait soit devenue si éprise de liberté? Pendant des décennies, sa partie ouest fut coupée de l’est afin d’ empêchers a culture décadent e de contaminer les braves socialistes. Dans les faits, il s’agissait plutôt pour L’URSS de mettre fin à la fuite des résidents de l’est, ce qui lui faisait perdre la face.
DEVOIR DE MÉMOIRE
En bonne touriste, j’ai commencé mon séjour en vérifiant constamment de quel côté du mur je me trouvais, une question assez difficile tant son tracé était sinueux. Presque disparu de la trame urbaine, à l’exception de quelques vestiges, dont les 1300 mètres de l’east Side Gallery, il est absent de la majorité des cartes. La raison est simple : cela n’a plus la moindre pertinence. Berlin pulse désormais comme un seul coeur battant.
Cela étant dit, Berlin ne néglige pas pour autant son devoir de mémoire. Elle le fait avec une objectivité et un bon goût surprenants, au moyen de plusieurs installations modernes parsemées dans la ville, comme la Topographie des Terrors sur l’ancien site de la Gestapo. Que dire aussi du Holocaust-mahmal et ses 2711 stèles à la mémoire des victimes du nazisme. J’y ai passé un long moment à circuler entre les stèles pour ressentir l’émotion du lieu.
Je cherche ensuite, non loin, l’ancienne chancellerie d’hitler, mais ne découvre qu’une modeste plaque indiquant son emplacement, où se dressent maintenant des édifices abritant des salons de coiffure et des dépanneurs. Pour son ancien bunker, c’est un simple stationnement qui le recouvre.
Après ce pèlerinage, je me laisse griser par la modernité des nouvelles infrastructures, dont le Sony-center, qui a revitalisé l’ancienne Potsdamer Platz. C’est toutefois la visite du Reichstag qui me coupe le souffle avec son dôme de verre visant à illustrer la transparence du nouveau gouvernement.
Bien sûr, je ne quitterai pas Berlin sans visiter les magnifiques musées de la Museumsinsel, ni son irrésistible DDR Museum, qui présente avec humour le mode de vie des anciens habitants de l’est. Sans oublier la Brandenburger Tor, identifiée à jamais à la chute du mur. Un drapeau québécois flotte juste à côté!
En résumé, Berlin ne m’a pas déçue. Si je n’y ai pas reconnu le décor d’une vie antérieure, j’ai bel et bien cerné l’endroit où je souhaiterais vivre dans un futur rapproché.