Le Journal de Quebec

Qui veut la peau de la bâtonnière ?

Regardez-vous Suits? Cette excellente série raconte les aventures d’un groupe d’avocats cyniques et ambitieux qui sont prêts à tout (ou presque) pour arriver à leurs fins.

- richard Martineau richard.martineau@quebecorme­dia.com

Eh bien, ce qui arrive actuelleme­nt à la bâtonnière du Québec semble tout droit sorti d’un épisode de Suits.

VICTIME D’UNE CABALE ?

Rappelons les faits. Le 1er juillet, La Presse a dévoilé qu’en avril 2014, quelques mois avant d’être élue bâtonnière du Québec, l’avocate Lu Chan Khuong a quitté une succursale de la boutique Simons avec des jeans non payés dans un sac.

Vol à l’étalage? «Non, une erreur d’inattentio­n», de dire Mme Khuong.

Une plainte a été déposée à la police, mais le DPCP (le Directeur des poursuites criminelle­s et pénales) a décidé de ne pas déposer d’accusation­s contre l’avocate, jugeant qu’il ne s’agissait pas d’un crime grave, mais d’un simple «écart de conduite qui ne perturbe pas l’ordre social».

Quand le DPCP choisit de «déjudiciar­iser» ainsi un dossier, il n’y a pas de procès ni d’accusation, mais le nom de la personne qui a fait l’objet d’une plainte est inscrit dans un registre pendant cinq ans.

Ce registre est censé être confidenti­el. Les détails qu’il contient ne sont accessible­s ni au public ni aux avocats et ils ne figurent pas dans les systèmes informatiq­ues du Barreau du Québec.

Or, cette histoire s’est retrouvée dans les pages de La Presse.

Qui l’a laissée filtrer? Pour quelle raison?

Mme Khuong est-elle l’objet d’une cabale? Un membre du Barreau voulait-il sa peau?

TROP VITE SUR LA GÂCHETTE ?

Autre question: Mme Khuong avait-elle l’obligation morale d’informer le Barreau de ses démêlés lorsqu’elle a posé sa candidatur­e pour devenir bâtonnière?

Après tout, on parle ici d’une institutio­n qui doit faire preuve d’une probité exemplaire…

D’un autre côté, comme l’a souligné le criminalis­te Richard Philippe Guay sur le site Droit-inc. Québec: «La bâtonnière n’avait pas d’obligation légale ni éthique d’informer le Barreau puisqu’elle n’a jamais été accusée de quoi que ce soit. Le dossier n’a pas été ouvert et ne s’est jamais rendu au procès. Il s’agissait d’une informatio­n qui relevait du domaine privé…»

Troisième question: le Barreau a décidé de suspendre Mme Khuong de son poste de bâtonnière. A-t-il été trop vite sur la gâchette?

Non, répondent certains avocats. En ne prévenant pas le Barreau, Mme Khuong a brisé le lien de confiance qui la lie à ses confrères et à cette institutio­n.

Oui, disent d’autres. Non seulement Mme Khuong n’a pas été condamnée et elle n’a pas été accusée de quoi que ce soit. Elle n’aurait jamais dû être suspendue. Après tout, la présomptio­n d’innocence est à la base de notre système de justice, non?

LES COUTEAUX VOLENT BAS

Le petit monde du droit québécois est déchiré entre les pro et les anti Khuong. Plus de 80 avocats ont signé une lettre ouverte en soutien à la bâtonnière.

Cela dit, au-delà de la controvers­e, une question demeure: qui avait intérêt à divulguer cette histoire qui n’aurait jamais dû être rendue publique?

On dit souvent que les couteaux volent bas dans le monde politique. Dans le monde juridique aussi, semble-t-il…

Le petit monde du droit québécois est déchiré

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