La plus grosse amende pour la pire tragédie
On se doute que quand une crise est résolue avec un paiement de 18,7 milliards $, ce n’était pas une petite crise. La pétrolière britannique BP espère avec ce chèque se débarrasser du boulet en forme d’immense marée noire qu’elle traîne depuis l’explosion de la plateforme Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique en 2010. Même à ce prix titanesque, pour plusieurs, elle s’en sort mauditement bien.
Un record et une honte, ce sont les deux termes qui reviennent pour qualifier cette entente entre le ministère américain de la Justice et BP pour résoudre les principales poursuites enclenchées à la suite du plus grand déversement de pétrole de l’histoire américaine.
Un record parce qu’aucune autre société privée n’a eu à payer aussi cher pour ses erreurs; aucune autre entreprise n’a eu à assumer une telle amende environnementale et aucun État américain — comme les 6,8 milliards $ que doit recevoir la Louisiane — n’a été aussi généreusement compensé pour des méfaits commis par une compagnie privée.
Une honte, parce qu’ayant déjà été condamnée par un juge fédéral pour avoir fait preuve de négligence grave, l’«amende environnementale» que, à elle seule, Washington pouvait imposer à la pétrolière aurait pu atteindre 18 milliards $.
18 MILLIARDS ? UNE BONNE AFFAIRE !
BP a réussi à glisser dans cette entente de 18,7 milliards $, en plus de l’amende pour avoir violé le Clean Water Act, tous les dommages aux ressources naturelles, tous les efforts de restauration de la faune et de la flore et toutes les pertes économiques subies par les États et les municipalités. Méchant deal!
Le géant pétrolier a certes été amoché par cette tragédie écologique et humaine: onze travailleurs, ne l’oublions pas, ont perdu la vie dans l’explosion et l’incendie de la plateforme de forage. Sa réputation en a pâti, et, en fin de compte, BP aura payé 54 milliards $ en indemnités aux victimes, en amendes, en coûts pour colmater le puits et en frais de dépollution.
Il a dû vendre pour 45 milliards $ d’actifs à travers le monde, et sa valeur en Bourse a chuté du tiers depuis la catastrophe environnementale. Mais retenez vos larmes et sachez que les financiers, eux, arborent un large sourire. La dernière amende va être étalée sur une quinzaine d’années, ce qui signifie à peu près un milliard de dollars à déduire des revenus par année. Et comme le bénéfice de BP l’année dernière a été de plus de 16 milliards dollars, pas étonnant que le signal aux investisseurs soit «Action à acheter!»
CINQ ANS, C’EST TROP COURT
Les scientifiques, les environnementalistes et les activistes qui travaillent auprès des pêcheurs et des riverains du golfe du Mexique s’amusent moins. Dauphins et tortues continuent de mourir à un rythme accéléré; les pêcheurs d’huîtres ne se sont toujours pas remis de ce déversement sur leur secteur d’activité, et les touristes, bien qu’encouragés à revenir par les massives campagnes de publicité financées par BP, se gardent une petite gêne.
La réalité est que cinq ans plus tard, les experts ne connaissent pas avec exactitude l’ampleur du tort que les 500 millions de litres de pétrole répandus ont eu sur l’écosystème du golfe du Mexique. Ce sera le tourment d’au moins une génération.
L’autre grande incertitude tient aux leçons tirées de ce drame: l’industrie pétrolière, toujours avare de profits, répondra-t-elle plus rapidement et plus efficacement à la prochaine crise? Ça aussi, seul le temps le dira.