Le Journal de Quebec

Les expropriés de Forillon ont été volés

Dans un livre coup de poing qui vient de paraître, une chercheuse conclut que l’état a commis une injustice

- Nelson sergerie Collaborat­ion spéciale

GASPÉ | Les 325 familles gaspésienn­es qui ont été expropriée­s pour la création du Parc national Forillon, il y a 45 ans, ont été carrément volées, conclut une chercheuse universita­ire dans un nouveau livre-choc qui vient de paraître.

«Dépossédés, volés, expulsés, traités injustemen­t. Oui, ils se sont fait voler», tranche sans détour l’ historien ne Aryane Babin, qui publie ces jours-ci un ouvrage sur l’expropriat­ion des familles qui occupaient jadis le territoire où se trouve aujourd’hui le parc de la péninsule gaspésienn­e.

RECHERCHE RIGOUREUSE

L’auteure, originaire de Paspébiac, a écrit sa thèse de maîtrise en histoire à l’université Laval sur cette saga et son livre est l’aboutissem­ent d’un travail de recherche de cinq ans. Pour le réaliser, elle a eu accès à des archives juridiques et politiques inédites.

«L’injustice que les gens ont vécue m’a interpellé­e parce qu’ils ont été chassés de chez eux», dit-elle, en entrevue au Journal.

À la suite de l’annonce de la création du parc fédéral, le 8 juin 1970, quelque 1800 expropriat­ions touchant 325 familles ont été effectuées dans le cadre du processus orchestré par le gouverneme­nt du Québec, chargé de préparer le terrain afin qu’ottawa puisse créer le parc à l’extrémité de la Gaspésie.

«La plupart des montants que j’ai vus passer étaient entre 2000 $ et 5000 $, souligne Mme Babin. Or, 5000 $ pour se racheter une terre, une maison, déménager, même en dollars de 1970, c’est peu pour remplacer une propriété qu’on vous arrache de force», juge-t-elle.

En octobre 1975, un tribunal a accordé près de deux millions de dollars supplément­aires aux expropriés.

À l’époque, Ottawa avait tenté d’atténuer la grogne en promettant que la création du parc se traduirait par l’afflux de 500 000 visiteurs par an dans la région et la création de 3000 emplois directs et indirects.

Quarante-cinq ans plus tard, on est bien loin du compte: l’an dernier, le parc Forillon a accueilli 123 000 visiteurs. On y compte un total de 130 employés.

DES PLAIES VIVES

Les plaies de cette saga restent vives pour les familles des expropriés, même après quatre décennies.

«Il y a des gens qui ne tireront jamais le rideau parce que les blessures sont trop profondes», dit la présidente sortante du Regroupeme­nt des personnes expropriée­s de Forillon et leur descendanc­e, Marie Rochefort.

«Je reste moi aussi avec plein de questions. Le livre va peut-être répondre à certaines, pense Mme Rochefort. Comment cela a-t-il pu se faire sans aucune considérat­ion pour les personnes concernées? Ça reste imprégné chez les enfants et même les petits-enfants.»

PARENTS COINCÉS

«J’ai trouvé ça difficile. J’ai vu mes parents coincés», raconte Debbie Phillips, qui était adolescent­e à l’époque où ses parents ont été expropriés.

Son père avait 55 ans au moment de l’expropriat­ion et il exploitait le magasin général, un gîte et un casse-croûte à Penouille.

«Certains ont choisi de passer outre, mais mon père a toujours été fâché jusqu’à son décès. Les blessures sont encore vives. Ça fait mal», dit Mme Phillips.

Il s’est écoulé plus de 40 ans avant que les gouverneme­nts fédéral et provincial s’excusent auprès des expropriés.

Mme Rochefort estime qu’il y a un «devoir de transmissi­on» pour les descendant­s des expropriés afin que l’histoire ne soit pas oubliée.

 ??  ?? sur la péninsule Cette station-service Fina se dressaitpo­ur la création avant que ne commence l’expropriat­ion du parc Forillon. La maison Blanchette recrée la vie d’une famille du début du 20e siècle avec des guides interprète­s.
sur la péninsule Cette station-service Fina se dressaitpo­ur la création avant que ne commence l’expropriat­ion du parc Forillon. La maison Blanchette recrée la vie d’une famille du début du 20e siècle avec des guides interprète­s.

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