N’en faire qu’à sa tête de Turc
Quiconque s’est rendu en Turquie souhaite que les choses y aillent bien. On y trouve tout ce que cherchent le corps et l’esprit: une histoire multimillénaire, une culture riche et originale, de superbes plages, des lieux touristiques inspirants et une population curieuse et engageante. La Turquie, prise toutefois dans l’actuelle tempête régionale, dérive. Et l’homme qui tient la barre ne l’amène pas à bon port.
D’entrée de jeu, admettons qu’il n’est pas simple d’être coincé entre Europe et Moyen-orient. Il y a, d’un côté, l’attrait de l’ouest, de ses richesses et de son développement, et de l’autre, le lien naturel et historique avec l’orient et sa mosaïque culturelle. Sauf que cet Orient vit une commotion qui va le transformer à jamais. La Syrie est plongée dans la plus terrible des guerres civiles, l’irak peine à se tranquilliser, la Jordanie et le Liban croulent sous les réfugiés.
Pas étonnant que les Turcs aient envie de stabilité, d’autant plus que la violence islamiste déborde de leur côté de la frontière et que la minorité kurde, longtemps marginalisée et brutalisée, observe avec intérêt l’émancipation qu’arrachent, fusil à la main, les Kurdes d’irak et de Syrie. La malchance turque est toutefois décuplée par l’homme qui la préside et qui associe désir de sérénité avec exigence de fermeté.
BONAPARTE À ANKARA
Recep Tayyip Erdoğan a des élans napoléoniens, non pas de conquête territoriale, mais d’emprise sur le pouvoir. Premier ministre pendant 11 ans, il s’est fait élire président en 2014, position essentiellement honorifique. La Constitution turque, Erdoğan veut la revoir et souhaite qu’elle concentre désormais les principaux pouvoirs entre ses mains. Il y a de quoi être inquiet.
Les réflexes autoritaires du successeur d’atatürk sont bien connus. Il supporte mal la critique; la presse et les médias sociaux l’ont appris à leurs dépens au cours des cinq dernières années. Les journaux indépendants risquent la mise en tutelle – ce qu’a subi le quotidien Zaman au début mars – et les journalistes un peu trop audacieux sont victimes d’intimidation ou pire encore.
AU DIABLE L’EUROPE ET LES AUTRES !
Deux d’entre eux ont été condamnés à la prison vendredi pour «divulgation de secrets d’état». Ils avaient révélé, images à l’appui, que le régime d’erdoğan alimentait en armes les rebelles islamistes de Syrie. Selon L’AFP, le président turc, furieux, avait promis que Can Dündar et Erdem Gül, deux journalistes renommés, «allaient le payer cher».
Sans surprise, Reporters sans frontières place la Turquie au 151e rang mondial en matière de liberté de presse, entre le Tadjikistan et la République démocratique du Congo.
La semaine dernière, Erdoğan s’est débarrassé de son premier ministre, Ahmet Davutoglu, qui a annoncé son départ pour le 22 mai. Davutoglu, ancien ministre des Affaires étrangères, plaisait bien aux Européens avec lesquels il avait négocié l’accord de rapatriement des migrants syriens et autres. On l’estimait aussi à Washington, où le président Obama devait le recevoir le 2 mai. Davutoglu faisait tout simplement trop d’ombre au maître d’ankara.
Rien de ce qui concerne la Turquie ne devrait nous laisser indifférents: le pays est un allié du Canada au sein de L’OTAN et garde un oeil, à droite, sur les bouleversements au Moyen-orient et l’autre, à gauche, sur les grondements russes outre-mer Noire. Si les Turcs, à leur tour, héritent d’un dictateur, on voit mal comment la région, déjà meurtrie, en sortira mieux portante.