Le Journal de Quebec

Le Chili à la sauce CARYL FÉREY

Féru d’histoire, Caryl Férey signe un thriller dépaysant à souhait qui raconte sans détour le Chili d’hier et d’aujourd’hui.

- Karine Vilder Collaborat­ion spéciale

Ce que la lecture a de plus magique? Nous permettre de voyager aux quatre coins de la planète sans même avoir à boucler la moindre valise. Depuis qu’on a découvert les thrillers de l’écrivain français Caryl Férey, on a ainsi pu visiter la Nouvelle-zélande (avec Haka et Utu), l’afrique du Sud (avec Zulu, qui a raflé un paquet de prix littéraire­s) ou l’argentine (avec Mapuche). Et grâce à Condor, dont les pages sentent encore l’encre fraîche, on débarquera cette fois directemen­t au Chili. Une destinatio­n longtemps boudée par les touristes, le régime despotique de Pinochet ayant malheureus­ement réussi à porter ombrage à ses déserts, à ses hauts plateaux et à ses magnifique­s bords de mer durant près de deux décennies.

Après avoir fait le tour du monde et travaillé pendant des années pour le Guide du routard, Caryl Férey a en effet continué à parcourir le globe, ramenant dans ses bagages quantité de sujets passionnan­ts. Toujours prêt à partir là où la pauvreté, la corruption et l’oppression surpassent la fiction, l’amérique du Sud a donc rapidement figuré sur sa feuille de route. «C’est le hasard de la vie qui m’a entraîné en Afrique du Sud, mais pour ce qui est de l’argentine et du Chili, je m’y suis rendu volontaire­ment, explique Caryl Férey, qu’on a joint chez lui à Paris. J’aime l’histoire et je choisis des pays où il y a eu de profonds bouleverse­ments. Avant de mettre les pieds en Amérique du Sud, j’en savais par exemple déjà pas mal sur le plan Condor. La plupart des bourreaux qui y ont participé n’ayant jamais été arrêtés, ça faisait un bon terrain de polar...»

Après le plan condor, les vautours

Laissant désormais à d’autres le soin de rédiger des guides dans lesquels restos sympas et auberges de charme sont à l’index, Caryl Férey, qui a séjourné à deux reprises au Chili, nous invite plutôt à sortir des sentiers battus en faisant d’abord escale à La Victoria, l’un des quartiers les plus défavorisé­s de Santiago.

Dans cette banlieue miséreuse où chômeurs, sans-abri, alcoolos et dealers de drogue pullulent, quatre gamins ont perdu la vie en moins d’une semaine. Les carabinier­s renâclant cependant à remuer ciel et terre pour élucider cette affaire qui n’a même pas su éveiller l’intérêt des médias, c’est Gabriela Wenchwm, une jeune vidéaste mapuche ayant très bien connu la quatrième victime, qui se chargera d’approcher l’avocat Esteban Roz-tagle. Avec l’aide de ce spécialist­e des causes perdues profondéme­nt marqué par l’assassinat du chanteur populaire Víctor Jara, Gabriela compte reprendre l’enquête de A àZ caméra au poing afin que justice soit faite.

Mais ce faisant, Esteban et Gabriela ne tarderont pas à se frotter aux pires criminels chiliens: ceux qui, après avoir jadis activement collaboré à l’opération

Condor (une campagne d’exterminat­ion transnatio­nale ciblant les opposants politiques, qui a fait 60 000 morts et 35 000 disparus entre 1975 et 1983), ont retourné leurs vestes couvertes d’éclaboussu­res de sang pour profiter des largesses instaurées par le nouveau gouverneme­nt en place. «En Argentine, il y a plein de bibliothèq­ues, de cinémas et de théâtres, souligne Caryl Férey. Mais au Chili, il n’y a rien. Des librairies, on n’en aperçoit par exemple jamais. Premier pays néolibéral au monde, on voit aujourd’hui ce que ça donne 40 ans plus tard et le constat est terrible: la plupart des gens croulent sous les dettes, les études coûtent tellement cher que seuls les riches peuvent aller à l’université et le pays est vendu à des multinatio­nales prêtes à tout pour accroître leurs profits…»

Du Chili à la Colombie

Choqué par cet ultralibér­alisme donnant carrément carte blanche aux plus noirs desseins d’une foultitude d’entreprise­s privées, Caryl Férey nous entraînera ensuite dans le désert de l’atacama, où même les sites protégés peuvent être impunément pillés s’il y a quelques millions en ressources minières à la clé.

Traqués par de véritables bouchers tout droit issus de l’ère Pinochet, Esteban et Gabriela nous offriront ainsi un trépidant road-trip jalonné d’embûches en tous genres. Pour Caryl Férey, en revanche, l’aventure ne s’arrête pas là. Sa prochaine destinatio­n? La Colombie. «Ça fait longtemps que je suis ce pays, précise-t-il. Je n’ai pas envie qu’on m’enlève ou qu’on me tire dessus, mais depuis qu’un processus de réconcilia­tion a été mis en oeuvre, il y a des coins où on peut aller. Les pauvres ont vraiment subi une dictature hyper sanglante et l’avantage, quand on est étranger, c’est qu’on peut parler de tout sans tabou et sans idéologie.»

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