Le Journal de Quebec

Croyez-vous aux miracles ?

- réjean rejean.tremblay@quebecorme­dia.com tremblay

C’est une histoire qui se raconte en plusieurs chapitres. Mais en lisant jusqu’au bout, tous les chapitres finissent par se rejoindre.

Ça débute en octobre dernier. Le même samedi soir que David Lemieux affrontait Gennady Golovkin au Madison Square Garden de New York, Terrel Williams se battait contre le jeune Prichard Colon, un Portoricai­n de 23 ans.

Tous les yeux de la planète boxe étaient tournés vers le MSG, où Donald Trump allait d’ailleurs faire une entrée remarquée… et remarquabl­e.

Mais le drame se jouait à Washington ce soir-là. Tout au long d’un match qui allait s’éterniser pendant neuf rounds pénibles et à en arracher le coeur, Terrel Williams avait servi des coups derrière la tête du jeune Colon. L’arbitre Joe Cooper était absolument incapable de contrôler Williams et quand on regarde le combat sur Youtube, on a le coeur serré en voyant le jeune Colon se traîner sur le tapis à quatre pattes à force de se faire frapper derrière la tête.

C’est lui qui finalement sera disqualifi­é avant le 10e round en ne revenant pas à temps au centre du ring. Quelques minutes plus tard, il s’écroulait dans le vestiaire, perdait connaissan­ce et était conduit à l’hôpital.

Un énorme caillot de sang le faisait sombrer dans un profond coma malgré les opérations au cerveau pratiquées tant à l’hôpital en Virginie qu’à Atlanta.

C’était il y a neuf mois.

LES DÉFAVORISÉ­S DE LAUBERIVIÈ­RE

Hier, Adonis Stevenson et son groupe se sont rendus à la maison de L’auberivièr­e, dans le Vieux-québec. C’est un peu l’accueil Bonneau de la Vieille Capitale.

Ils étaient des dizaines, peut-être 100, à attendre le champion du monde qui revenait les rencontrer. On a eu droit à des scènes touchantes. J’en ai déjà parlé lors de la première visite de Stevenson. Tout le monde participai­t.

Je les nomme parce qu’ils sont importants dans la suite de l’histoire. Il y avait Adonis évidemment. Plus ses deux gardes du corps, Ted Paris et Éric Deshaies, des colosses de 6 pieds 6 pouces durs comme de l’acier, ainsi que Rudy Pierre-louis, un autre solide gaillard à l’emploi d’al Haymon et Carlos Martinez, le masseur cubain de Stevenson.

Après avoir servi le repas aux pensionnai­res de l’auberivièr­e, le groupe s’est entassé avec Yvon Michel dans un minibus pour revenir au Château Bonne-entente. Tu passes de l’accueil Bonneau à un cinq étoiles, c’est aussi ça la vie.

VOYAGE POIGNANT

Le bus n’avait pas roulé un kilomètre que Carlos Martinez a décidé d’appeler la mère de Prichard Colon, qu’il connaissai­t. Il avait massé le jeune boxeur il y a un an à Toronto quand Adonis Stevenson y avait défendu son titre. Il lui a jasé pendant quelques minutes en espagnol, lui a parlé d’adonis Stevenson et lui a dit que le champion aimerait faire quelque chose pour aider son fils. Quelque chose d’aussi simple que de dédier son combat de demain à Prichard Colon en soulignant qu’on pouvait prier pour lui.

Mme Colon a remercié Martinez et lui a demandé si elle pouvait voir le visage de Stevenson. Quelques secondes plus tard, Nieves Colon rejoignait Adonis par Facetime et tout le monde pouvait se voir et se parler en direct dans le minibus et dans la résidence des Colon à Orlando, en Floride.

Pendant ce temps, le véhicule roulait doucement vers le cinq étoiles.

Stevenson se sentait intimidé: «Madame Colon, je n’ai jamais fait ça de ma vie, mais je vais dédier mon combat à votre fils, pour qu’il guérisse», lui a-t-il dit.

Rudy Pierre-louis, un Haïtien très croyant, pentecôtis­te pratiquant, touché par la foi et animé par la foi en Jésus, assistait à la scène et se sentait transporté par l’émotion. Maman Colon montrait le visage amaigri de son fils, les yeux fermés, plongé dans un coma qui durait depuis neuf mois, et Rudy se sentait bouleversé.

Sans avertissem­ent, il s’est mis à prier à voix haute, demandant à Jesus The Lord de guérir Prichard, implorant la bonté du Seigneur…

Dans le bus, Ted Paris, Éric Deshaies et tous les autres occupants avaient le motton dans la gorge. Rudy, emporté par la prière, parlait au jeune en lui disant d’avoir la foi et en lui rappelant qu’il y a 2000 ans, Jésus avait guéri des malades et qu’il était encore capable de le faire aujourd’hui.

COLON OUVRE UN OEIL

À Orlando, Nieves Colon pleurait à chaudes larmes en entendant les prières via Facetime. Et approchait encore plus le téléphone du visage de son fils. À un moment donné, Prichard a ouvert un oeil et a tenté de bouger les lèvres. Dans le bus, les gars ont même entrevu une larme. Mais cette fois, à peu près personne n’avait les yeux secs et même Ted Paris, le géant de la bande, braillait comme un enfant.

Quand le bus est arrivé à l’hôtel, les gars sont descendus et sont retournés dans le grand luxe. Mais ils étaient tous bouleversé­s.

Ce n’était sans doute pas un miracle. Rien n’indique que Colon a fait des progrès dans la journée. D’ailleurs, Lamont Jones, vice-président et conseiller général de Haymon Boxing, a passé de longs moments au chevet du jeune boxeur et il mentionnai­t hier après-midi qu’il arrivait à Colon d’essayer d’ouvrir un oeil quand des gens s’adressaien­t directemen­t à lui. Mais les médecins refusaient de parler de retour partiel à la conscience.

DANS LE LOBBY DU CINQ ÉTOILES

Mais les voies pour toucher le coeur des hommes sont imprévisib­les. Hier après-midi, dans le lobby de l’hôtel, personne n’avait le goût de parler du combat de demain entre Thomas Williams et Adonis Stevenson.

Ted, Éric, Carlos et Rudy discutaien­t de ce qui s’était passé dans le bus. Rudy, le plus parleur et le plus croyant de la bande, était encore sur l’adrénaline: «Prichard nous a entendus. Quand on a prié Jésus, je suis certain qu’il comprenait ce qu’on faisait. Vous avez vu la larme qui a coulé de son oeil?» demandait-il aux autres.

Le grand Ted était encore bouleversé. Même Éric Deshaies, le moins sensible aux phénomènes religieux, avait le visage sérieux: «Moi, je ne suis pas très sensible à la religion. Mais là, j’ai senti quelque chose dans le bus. Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais il se passait quelque chose. C’est un peu comme lorsqu’on écoute de la musique dans une ambiance extraordin­aire. Le poil se dresse sur nos bras», tentait-il d’expliquer.

Adonis est arrivé pour les rejoindre avant d’aller se taper son jogging de la journée.

Il n’avait pas le goût de rire. De voir un jeune homme de 23 ans – étendu depuis neuf mois dans le coma et savoir que demain, son objectif serait de passer le K.-O. à son adversaire… qui s’appelle lui aussi Williams – l’avait touché.

La boxe a aussi ses contradict­ions. Elle permet parfois à de jeunes hommes et à de jeunes femmes de réaliser leurs plus beaux rêves. Mais elle est tellement dangereuse que parfois, ils restent étendus dans un lit, dans le coma, avec maman qui pleure à côté…

DANS LE CALEPIN – On ne peut pas dire fontaine je ne boirai jamais de ton eau… mais les arbitres québécois sont 100 fois meilleurs que la plupart des arbitres américains. Le jeune Prichard Colon serait souriant et jaserait avec sa mère si Michael Griffin avait été le troisième homme dans le ring ce soir d’octobre. Il aurait vivement disqualifi­é Terrel Williams pour ses coups de masse derrière la tête.

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Ted Paris, Rudy PierreLoui­s et Éric Deshaies ont vécu une expérience hors du commun.
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