Le Journal de Quebec

Cons, frustrés et méchants

- JOSEPH FACAL joseph.facal@quebecorme­dia.com

L’autre jour, une dame m’aborde dans la rue et me demande très gentiment si je lis les commentair­es des lecteurs après chacune de mes chroniques.

Je lui réponds très franchemen­t la vérité: pas toujours, pas systématiq­uement, peut-être même de moins en moins.

Visiblemen­t, ma réponse la déçoit. Elle commente souvent mes chroniques, ditelle, et de manière toujours respectueu­se.

Je lui réponds que, pour lire les commentair­es qui en valent la peine, il faut se farcir des tas de commentair­es insignifia­nts, méchants, insultants et orduriers.

J’ai lu quelque part que, même dans les gisements les plus riches, il faut extraire un camion de terre pour trouver une pépite d’or. Même chose ici.

Le «trollisme» est un problème sans solution pleinement satisfaisa­nte, parce qu’il est le reflet d’un phénomène plus large

ATTAQUES

Dans Le Devoir de jeudi, trois chroniqueu­ses – Judith Lussier, Geneviève Pettersen et Marilyse Hamelin – relatent l’épuisement suscité chez elles par les attaques vicieuses des trolls.

Les deux premières ont même cessé temporaire­ment d’écrire.

Il est vrai, comme le notait Mathieu Bock-côté, que ces parasites s’en prennent à tous ceux qui ont une tribune, indépendam­ment de leur sexe ou de leurs idées.

Mais je tendrais à croire que les attaques subies par les femmes portent davantage sur leur apparence physique et comportent plus d’allusions sexuelles.

De ce point de vue, oui, il y a, je pense, un double standard.

À dire vrai, le troll cherche l’angle qui, pense-t-il, fera le plus mal.

Si c’est une chroniqueu­se, il dira qu’elle est laide, mal baisée, qu’elle doit son poste aux faveurs sexuelles faites au patron, etc.

Si c’est Martineau qu’on vise, on attaquera sa femme ou vice-versa.

Si c’est moi, on fera des blagues sur mon nom ou on me dira de retourner dans mon pays d’origine.

Dans mon cas, l’avantage d’avoir fait de la politique, c’est que cela forge une carapace en titane renforcé.

Mathieu Bock-côté, lui, n’a aucune de ses aspérités qui dépassent: le troll en fera donc un obsédé de la pureté ethnique ou une niaiserie du genre.

FAIRE QUOI ?

Geneviève Pettersen y voit «une dérive sur laquelle il faut réfléchir». Oui, mais…

Si vous supprimez toute possibilit­é de laisser des commentair­es, vous punissez des gens, comme la dame évoquée plus tôt, qui veulent contribuer positiveme­nt au débat.

Croire en la liberté d’expression, c’est aussi, jusqu’à un certain point, accepter que des épais s’en serviront pour montrer leur épaisseur.

Si vous mettez un système de filtrage fondé sur la reconnaiss­ance de mots-clés proscrits, ceux qui ont beaucoup de temps à perdre finissent par les repérer et déjouent le système.

Si vous bloquez un nom en particulie­r, le troll s’inventera sur le champ trois, quatre, cinq pseudonyme­s.

Il est amusant et pathétique de voir revenir les mêmes tournures de phrases et les mêmes obsessions sous diverses identités.

J’en conclus que c’est un problème sans solution pleinement satisfaisa­nte, parce qu’il est le reflet d’un phénomène plus large.

Il révèle, au fond, l’ampleur de la solitude, de la méchanceté, de la rancoeur et de l’irrational­ité dans nos sociétés.

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Geneviève Pettersen, chroniqueu­se et auteure

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