Le Journal de Quebec

LOUISE DESCHÂTELE­TS

- louise.deschatele­ts@quebecorme­dia.com

J’ai cru relire ma vie dans la lettre signée « Une fille qui se sent rejetée » parue dans votre Courrier en début d’année. Avec une petite différence cependant, ce n’est pas un frère mais une soeur aînée que j’ai. Tout comme son frère, ma soeur a toujours été dans les bonnes grâces de mes parents. De ma mère surtout, qui voyait en elle se réaliser les grands espoirs déçus de sa propre vie.

Ma soeur était belle, docile, bonne à l’école et toujours prête à faire une bonne action. Alors que moi j’avais une allure de garçon manqué, que j’étais brouillonn­e, médiocre à l’école et toujours prête à faire un mauvais coup. Jusqu’au décès de mon père alors que j’avais 15 ans, ce dernier tempérait les ardeurs de ma mère à me donner des punitions. Mais après son décès, elle s’en est donnée à coeur joie dans les interdicti­ons de toutes sortes et dans les sentences pour les gestes inappropri­és que je posais.

Ce fut une lutte à finir entre elle et moi jusqu’à ce que j’atteigne mes 18 ans et que je quitte la maison. Jamais par la suite je n’ai réussi à renouer quelque espèce de relation avec elle. Comme votre correspond­ante Louise, j’ai emprunté des chemins détournés pour trouver mon propre bonheur dans l’existence. Les quelques deux ou trois fois où j’ai fait appel à ma mère pour m’aider financière­ment parce que je me retrouvais sans toît après une rupture par exemple, j’ai toujours essuyé un refus de sa part.

Pendant ce temps-là, ma soeur continuait à se montrer dévouée pour notre mère, en plus de se marier avec un bon parti, comptable de surcroît, et de lui donner trois beaux petits-enfants à aimer. Mes deux enfants à moi elle n’a jamais fait de véritable effort pour les connaître, parce que j’imagine que ça la répugnait d’entrer en contact avec deux enfants sans pères que j’élevais quand même au meilleur de ma connaissan­ce et de mes capacités. Lesquels sont aujourd’hui des profession­nels qui réussissen­t bien et qui me remercient de l’ouverture d’esprit que ma façon de faire avec eux leur a permis d’avoir.

Ma mère est morte il y a cinq ans, sans que mes efforts pour renouer avec elle ne se concrétise­nt jamais. Et devinez qui a hérité d’elle? Ma soeur et sa famille évidemment. Je fus convoquée à la lecture du testament car elle a daigné me léguer quelques babioles sans importance.

Ce que je voudrais dire à cette « Fille qui se sent rejetée », c’est d’arrêter de perdre du temps à espérer l’impossible. Nos mères, la sienne comme la mienne d’ailleurs, n’ont pas les qualités requises pour comprendre des natures comme les nôtres. Ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir une ouverture d’esprit assez large pour permettre à chacun de vivre sa vie comme il l’entend, tout en continuant à l’aimer. Et dans le fond, j’aurais mieux aimé que ma mère ne me laisse rien par testament plutôt que de m’humilier comme elle l’a fait. Autrement dit, il faut accepter de ne récolter que ce qu’on a semé. Aujourd’hui j’ai fait la paix avec ça. J’espère que cette femme en fera autant, car c’est juste après ça qu’on trouve un soulagemen­t. P.S.

Comme je le lui disais, vouloir être un esprit libre vient avec des conséquenc­es qu’il faut savoir accepter. C’est certain qu’il existe des mères qui, par méchanceté, jouent très mal leur rôle auprès de leurs enfants. Mais il existe aussi des mères qui ne sont pas compétente­s pour le rôle, et d’autres qui sont trop marquées par leur passé pour le transcende­r et aller vers mieux. Le rôle de parent est probableme­nt le plus difficile qui soit à tenir, et il n’existe de pas de mode d’emploi universel pour en faciliter l’exécution.

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