Le Journal de Quebec

Mon monde est plus vrai que le tien

- JOSEPH FACAL joseph.facal@quebecorme­dia.com

L’autre jour, j’ai tenté une expérience. Je m’étais donné comme règle de ne jamais répondre aux commentair­es impolis que suscitent mes chroniques.

Je perds mon temps et je légitime la grossièret­é. Je suis cependant amusé et intrigué, je l’avoue, par ces gens qui croient aux théories conspirati­onnistes farfelues.

Il y en a dans toutes les familles idéologiqu­es, mais ils me semblent particuliè­rement nombreux parmi les partisans de Donald Trump. Beaucoup pensent vraiment qu’obama est musulman, qu’il espionnait Trump, que les Clinton dirigeaien­t un réseau pédophile, que les attentats du 11 septembre 2001 furent un complot du Mossad, etc.

PREUVES ?

J’ai donc, disais-je, tenté une expérience. Exceptionn­ellement, j’ai engagé la conversati­on avec une de ces personnes. Je lui ai demandé quelles sont ses «preuves».

Je voulais voir comment ces gens raisonnent, dans quel univers mental ils habitent.

Pour chaque allégation abracadabr­ante, la personne me renvoyait à des tas de sites qui, supposémen­t, «démontraie­nt» ces histoires.

La personne était une encyclopéd­ie vivante en matière d’«explicatio­ns alternativ­es», comme Mel Gibson dans le film Conspiracy Theory.

J’ai réalisé qu’elle habitait un véritable univers parallèle qui nourrissai­t et structurai­t toute sa vision du monde.

En fait, elle ne croit qu’à cet univers et tout le reste fait partie du grand complot pour nous endormir.

Personnell­ement, quand j’écris sur les États-unis, je consulte des médias qui penchent à gauche et d’autres qui penchent à droite.

Pour mon interlocut­eur, le clivage est plutôt entre les médias mainstream, de droite ou de gauche, et les médias «alternatif­s», euphémisme pour désigner un véritable Far West du web.

Souvenez-vous, si vous avez plus de 30ans, de l’arrivée des réseaux sociaux au milieu des années 2000.

On pensait que cette explosion d’informatio­ns et de moyens d’expression allait revitalise­r la démocratie.

Il est vrai que chacun a maintenant les moyens de parler au monde entier. Mais la qualité du débat démocratiq­ue y a-t-elle gagné?

La démocratie suppose que des tas d’idées contradict­oires circulent et que la discussion publique fasse émerger les meilleures.

La plus belle illustrati­on que la démocratie, pour fonctionne­r, a besoin de la circulatio­n maximale des idées, c’est que les dictatures cherchent toujours à restreindr­e la circulatio­n des idées autres que les leurs.

BULLES

Regardez cependant comment beaucoup de gens utilisent les réseaux sociaux: ils se construise­nt un univers virtuel personnali­sé, à la carte, avec leur liste de sites favoris, ne reçoivent que des messages d’«amis», bloquent tout ce qui leur déplaît.

On peut, si on le veut, ne plus être exposé à des idées contraires aux nôtres. On peut s’enfermer dans une bulle qui n’est qu’une caisse de résonance, qu’un écho de nos propres idées, qui renforce ainsi notre vision du monde. On pensait créer une nouvelle arène démocratiq­ue. Oui, en partie, mais on a aussi créé des tas de miniuniver­s parallèles qui ne dialoguent pas, mais se jettent à la tête leur seule et unique «vérité».

Nous n’y gagnons pas.

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