Défendre l’indéfendable
C’est le job le plus ingrat et le plus abrutissant à Washington ces temps-ci : secrétaire de presse du président des États-Unis.
Plusieurs fois par semaine, Sean Spicer est tourné en ridicule par les médias américains à cause de réponses farfelues qu’il donne à leurs questions. Faire un fou de soi, c’est désormais dans la définition de tâche.
Personne ne doute que ce soit le pire rôle à jouer et personne ne la veut, la place de Spicer. Kellyanne Conway, proche conseillère du président à qui il avait offert le poste au tout début de l’administration, a récemment répondu à un journaliste du New York Magazine qui lui demandait si elle était intéressée : «Ouvrez-moi les veines, saignez-moi, remplissez mes chaussures de ciment et faites-moi sauter d’un pont et là, je prendrai l’emploi. Êtes-vous fou?»
Sean Spicer n’est pourtant pas un total néophyte : avant de se retrouver à la Maison-blanche, il était directeur des communications au parti républicain. Et d’ailleurs, quand son nom a été évoqué pour devenir porte-parole du président, plusieurs ont poussé un soupir de soulagement : quelqu’un de raisonnable allait parcourir les corridors de la West Wing.
TOUTE LA VÉRITÉ, RIEN QUE LA VÉRITÉ
Je ne connaissais pas Spicer avant de le voir s’installer au lutrin de la salle de presse, mais au cours des quelque soixante derniers jours, il s’est montré, la plupart du temps, irrationnel et fautif. Dès le premier jour, il a juré par tous les saints que la foule à l’investiture du président Trump était la plus grande de l’histoire. Une affirmation démentie de toutes parts.
Ces derniers jours, il a défendu corps et âme les accusations, lancées par Donald Trump sur Twitter, d’avoir été espionné par Barack Obama. Spicer est allé jusqu’à mêler les services de renseignement britanniques à cette affaire extravagante, elle aussi réfutée par tout ce qui existe d’autorités en matière d’espionnage, républicains comme démocrates, Américains comme Britanniques.
Moment de compassion : sûrement pas facile pour lui, au lendemain de nouvelles tentatives pour justifier les allégations du président, de lire que le Washington Post avait résumé son point de presse avec le titre : «La réponse de Sean Spicer sur les écoutes téléphoniques était complètement absurde.»
PUBLIC D’UNE PERSONNE
La réalité, c’est que lorsque Spicer se présente devant nous et que ses briefings sont diffusés à travers le pays, il s’adresse à un public bien précis, un public fait d’une seule personne : Donald Trump.
C’est Trump qui l’envoie, comme un chien enragé, dénoncer les reporters qui mettent en doute ses prétentions sur la foule qui assistait à son assermentation. C’est Trump qui le force à multiplier les incohérences pour tenter d’expliquer les accusations de mise sur écoute par Obama. Et c’est Trump qui lui fait proférer, depuis le début de la semaine, des «faits alternatifs» sur des membres importants de son équipe de campagne possiblement liés à la Russie, aujourd’hui décrits comme ayant joué des rôles «négligeables».
Cela dit, je vous le répète, les Américains sont déchirés entre deux mondes : il y a ceux qui sont consternés par ce qu’ils entendent de Spicer et ceux qui, comme à Nashville la semaine dernière lors d’un rassemblement politique de Trump, se sont précipités sur lui pour le féliciter de «mettre les journalistes à leur place» et l’intégrer à leur selfies. Ceux-là, c’est clair, vont tout pardonner au président et à son porte-parole.
Faire un fou de soi, c’est désormais dans la définition de tâche.