Le Journal de Quebec

Les leçons oubliées de l’« affaire » Michaud

- josée legault josee.legault@quebecorme­dia.com

Un texte hallucinan­t sur un Québec «pathologiq­uement aliéné» paru dans le magazine Maclean’s vient de coûter cher à son auteur. Critiqué de toutes parts, Andrew Potter démissionn­e de la direction de l’institut d’études canadienne­s de l’université Mcgill.

Face à la controvers­e soulevée par son texte, M. Potter s’était pourtant rétracté et excusé sur-le-champ. Un geste déjà rare en soi et, de fait, tout à son honneur. Certains se réjouiront peut-être de la démission de M. Potter. Après sa rétractati­on, la saga aurait dû néanmoins s’arrêter là.

Dans sa lettre de démission, il conclut toutefois que la «crédibilit­é» de l’institut d’études canadienne­s serait «mieux servie» par son départ. Ex-journalist­e et docteur en philosophi­e, il demeure professeur à Mcgill.

Le texte de M. Potter, si choquant fût-il, ne viole aucune loi. Qui plus est, dans une société libre, les propos controvers­és peuvent s’exprimer.

LIBERTÉ ACADÉMIQUE

S’il s’avère que M. Potter démissionn­e de son propre gré, c’est une chose. À l’opposé, si Mcgill l’a poussé à le faire, de sérieuses questions se poseraient à l’université sur sa conception de la liberté académique. D’autant plus que le jour même de la controvers­e, Mcgill s’était dissociée des propos de M. Potter.

Or, comme l’a déjà expliqué le professeur Pierre Trudel au Journal, «la liberté académique, à l’instar de la liberté d’expression, existe afin de protéger, non pas les idées qui font consensus, mais les propos qui s’éloignent des positions les plus généraleme­nt partagées. […] C’est uniquement lorsque des propos contrevien­nent à une loi qu’il y a un devoir de les faire cesser.»

Les université­s ont le devoir de protéger la liberté académique. Le texte de M. Potter, si choquant fût-il, ne viole aucune loi. Qui plus est, dans une société libre, les propos controvers­és peuvent s’exprimer. Tout comme ceux qui les réfutent ont l’ample liberté de répliquer. Je l’avais d’ailleurs fait moi-même sur mon blogue.

Cela s’appelle un débat. Et c’est pré- cisément ce qui s’est passé autour du texte d’andrew Potter. Y compris pour ses excuses rapides et senties.

COMBAT INÉGAL

Parlant de liberté d’expression, on a beau se jurer «Charlie», les dérapages ne sont jamais très loin dans ce départemen­t. Que ce soit Philippe Couillard se plaignant d’une caricature. Ou encore, ces fameuses motions de blâme que des élus présentent au parlement pour «dénoncer» les propos d’un citoyen.

Le Bloc québécois a tenté de le faire contre Andrew Potter. En février, idem pour un article similaire du Washington Post. En 2010, le parlement fédéral condamnait l’article du Maclean’s présentant le Québec comme la province la plus corrompue du Canada.

À l’assemblée nationale, les motions de blâme n’ont pas manqué non plus. La plus connue étant celle votée à l’unanimité en décembre 2000 contre des propos controvers­és de l’ex-député Yves Michaud. Dans les faits, une sale opération de lynchage politique.

Conclusion: en démocratie, les élus ne devraient jamais user de leur autorité démesurée pour condamner par motion les propos controvers­és d’un citoyen. Le combat est trop inégal.

Malheureus­ement, force est de constater que certains élus n’ont rien retenu des leçons de l’«affaire» Michaud.

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Andrew Potter
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