Vieillir trop Vite à cause du cancer
Un jeune acteur et chanteur de neuf ans a vu sa carrière interrompue en raison de la leucémie Annabelle Blais
Pas facile d’expliquer la maladie et la mort à un enfant de 9 ans. Lorsque Jean-gilles Gadoury a reçu un diagnostic de leucémie, en septembre 2014, sa mère Marie-josée Gadoury peinait elle-même à réaliser l’ampleur de la situation. «Ma mère ne m’a pas dit que j’avais la leucémie», dit Jean-gilles, rencontré à l’unité d’oncologie de l’hôpital de Montréal pour enfants, en janvier. «Mais oui, je t’ai dit que tu avais la leucémie, mais je t’avais dit que tu allais guérir», lui répond tendrement sa mère. Ce n’était pas un mensonge. Mais plutôt un espoir sincère. Parce qu’à l’automne 2014, les chances de survie du petit bonhomme étaient bien minces. Jean-gilles Gadoury est ce petit blond aux yeux bleus dont l’histoire a fait le tour des médias il y a deux ans et demi. Atteint d’une leucémie très agressive, il devait absolument recevoir une greffe de moelle osseuse pour espérer survivre. Désemparée, Marie-josée avait lancé un cri du coeur sur Facebook pour trouver une personne compatible. Un donneur avait finalement été trouvé et l’enfant avait reçu une greffe. On le croyait tiré d’affaire, mais, depuis, il a fait une rechute et a été greffé une deuxième fois, en septembre dernier.
AMBULANCE
Avant que la maladie ne bouleverse la vie de JeanGilles à l’âge de 9 ans, le garçon avait déjà une jeune carrière de chanteur et d’acteur. Marie-josée, mère monoparentale, travaillait à mi-temps de nuit pour s’occuper de ses trois enfants. À l’époque, son plus vieux avait 16 ans et sa fille presque 12 ans. Jean-gilles est le petit dernier. Toute la famille ha- bite Bedford, en Montérégie.
En septembre 2014, des bleus ont commencé à apparaître sur le corps du garçon. Une nuit, il a eu une fièvre si forte qu’il s’est mis à halluciner. Marie-josée a emmené son fils à l’hôpital, à Cowansville.
Une médecin est arrivée avec un regard sérieux et a annoncé qu’elle suspectait une leucémie.
«Elle m’a ensuite posé quatre questions: est-ce qu’on était témoins de Jéhovah? Est-ce que Jean-gilles avait des frères et soeurs pour une greffe? S’il était bon à l’école et auprès de quel hôpital voulaiton être suivis? Tout ça en quelques minutes. J’étais knock-out», dit la mère.
Mais pas le temps d’absorber la nouvelle, puisque l’état de Jean-gilles s’est rapidement détérioré, au point qu’il a dû être envoyé sur-le-champ en ambulance à l’hôpital de Montréal pour enfants.
«Je me rappelle que j’étais content de faire un tour d’ambulance, je me suis dit qu’on irait plus vite que tout le monde et que j’allais entendre la sirène», dit le garçon.
Il avait en fait attrapé un streptocoque et le virus s’attaquait à son système immunitaire, qui n’arrivait pas à se défendre à cause de la leucémie.
Le diagnostic de leucémie myéloblastique a été confirmé 48 heures plus tard. Marie-josée, qui travaillait comme assistante en réadaptation dans un établissement de santé, a alors pris un congé de maladie au motif de «trouble d’adaptation».
Les premiers traitements de chimiothérapie n’ayant pas donné de résultats, la greffe s’est rapidement imposée comme seul espoir de survie. Mais le frère et la soeur de JeanGilles n’étaient pas compatibles. «C’était la panique totale», dit MarieJosée.
«Ma mère m’avait dit qu’on trouverait, donc ça ne m’inquiétait pas tellement», ajoute le garçon, assis sur un lit d’hôpital tout en jouant à Donkey Kong sur son ordinateur.
«Chaque fois que le médecin annonçait une mauvaise nouvelle, il allait avec ma mère dans le corridor, pour que je n’entende pas.»
Le 21 octobre 2014, sa mère est revenue du couloir, les yeux pleins d’eau, et a dit: «On a un donneur.»
«Je me suis dit: “Je suis sauvé!”» lance-t-il. Et pour la première fois depuis le début de sa maladie, il a dormi cette nuit-là dans le même lit que sa mère. «Je ne voulais pas dormir à côté d’elle, parce que j’avais peur de lui donner le cancer», dit-il.
En janvier 2015, Jean-gilles a reçu sa greffe de moelle osseuse. Pour éviter que le nouveau sang s’attaque aux organes, les patients reçoivent des stéroïdes, ce qui entraîne une prise de poids et fait pousser le poil. Le corps de JeanGilles avait beaucoup enflé. Il est passé de 25 à 48 kg. Marie-josée a dû raser la barbe de son fils de 10 ans. Mais il était en vie.
« JE NE VOULAIS PAS DORMIR À CÔTÉ D’ELLE, PARCE QUE J’AVAIS PEUR DE LUI DONNER LE CANCER. » – Jean-gilles Gadoury
La voix junior
Il a été invité à chanter au téléthon Enfant Soleil en juin de cette annéelà, en compagnie de son idole Réginald Bellamy, de Mixmania. «Ma vie recommençait», dit Jean-gilles.
Il est retourné à l’école et a dû reprendre sa quatrième année en raison de ses nombreuses absences. Heureusement, le rattrapage n’a jamais été un problème pour ce premier de classe.
«J’avais aussi averti l’école que personne ne devait se moquer de son apparence. Après tout ce qu’il avait enduré, ce n’est pas vrai qu’il allait être intimidé», dit Marie-josée sur un ton ferme.
En 2016, Jean-gilles a même passé une préaudition à La Voix junior.
Mais sa mère retenait son souffle. Pendant cinq mois, elle a dormi avec la petite main de son fils dans la sienne. «J’avais peur de me réveiller et que sa main soit froide», dit la mère, alors que des larmes roulent sur ses joues.
Au printemps 2016, sa pire crainte est devenue réalité. L’analyse du sang du garçon montre que les plaquettes dans son sang ont recommencé à chuter. Le 3 mai, la rechute est confirmée.
«J’ai appelé mes amis sur Skype
pour le leur annoncer et j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps», dit Jean-gilles.
Une semaine avant la nouvelle tant redoutée, Jean-gilles avait passé une deuxième audition pour La Voix junior. C’est finalement de son lit d’hôpital qu’il regardera l’émission à la télévision, avec un petit pincement au coeur.
À l’épreuve psychologique s’ajoutait aussi l’épreuve physique, car les nouveaux traitements de chimiothérapie étaient plus agressifs que tout ce que Jean-gilles avait subi. Il en a perdu les ongles des mains et des orteils, et ses cheveux repoussent moins vite depuis.
Un donneur anonyme est venu par avion pour permettre au petit patient de recevoir une greffe de cellules souches, en septembre 2016.
Dans un an, la famille pourra connaître l’identité de cette généreuse personne.
L’après-greffe n’a pas été facile. Un virus s’est attaqué au système immunitaire de Jean-gilles et il a dû reprendre de faibles doses de stéroïdes. Il a recommencé à prendre du poids. Un peu trop, même.
Près de 10 kilos en un mois. En vérifiant auprès de sa pharmacie, MarieJosée a réalisé qu’il y avait une erreur de dosage qui aurait pu être fatale pour son fils. «Il était en train de perdre sa greffe, imagine! s’insurge la mère. Le coeur a failli me lâcher.»
Retour à l’hôpital, où les médecins ont constaté une chute de plaquettes. La mère a cru que le cancer était revenu. «Je me suis dit: c’est terminé.» Jean-gilles a regardé sa mère et lui a demandé: «Maman, est-ce que je vais mourir?» Sa mère n’a pas voulu confirmer ses craintes.
Au moment où tous les espoirs étaient perdus, les plaquettes du gar- çon ont commencé à remonter, le 29 décembre dernier. Depuis, deux premières biopsies ont révélé qu’il n’y avait plus de traces de cancer dans le sang de Jean-gilles. La mère et le fils espèrent de tout coeur que les résultats de la troisième biopsie confirmeront les résultats précédents.
LA mort à 11 ANS
En deux ans et demi, Jean-gilles a appris à côtoyer la mort, notamment celle d’amis avec qui il partage ses chambres d’hôpital. «Les amis d’école ne savent pas toujours ce qu’on vit, alors c’est bien, parce qu’avec les amis d’hôpital on peut se parler de nos peurs et de nos espoirs», affirme-t-il.
Mais une fois sorti de l’hôpital, il les revoit un peu moins, sauf à l’occasion des suivis en clinique. «On se voit moins et, quand on se voit, on se dit que c’est peut-être la dernière fois. C’est plus difficile quand ils partent.» Au téléthon de 2016, il a chanté The
Wind Beneath My Wings pour un ami décédé. «Et toi, Jean-gilles, as-tu peur de la mort?» lui demande-t-on.
«J’essaie de moins y penser, parce que si tu y penses trop, tu as moins de force pour faire ce que tu dois faire et tu es plus malheureux», explique-t-il d’une voix d’abord assurée.
«Je ne veux pas me dire: dans 10 jours, je vais mourir. Si je dois mourir, je veux que ce soit la tête vide, sans aucun souci, en me disant que j’ai vécu, que j’ai fait ce que je devais faire, comme chanter», ajoute-t-il.
Un silence règne dans la chambre d’hôpital. Sa mère, assise au bout du lit, s’approche lentement de son fils et l’étreint longuement. Jean-gilles essuie quelques larmes.
À ce moment précis, il est difficile de croire que ces mots ont été prononcés par un enfant de 11 ans. Lorsqu’on lui en fait la remarque, il répond: «J’ai un peu l’impression d’avoir grandi plus vite. J’ai quand même juste 11 ans.»
Marie-josée confie plus tard, lorsque Jean-gilles est endormi pour sa biopsie, qu’elle venait d’entendre pour la toute première fois son fils parler de sa vision de la mort.
«Je n’avais jamais voulu l’effrayer en lui en parlant. Je ne lui ai jamais dit qu’il pouvait mourir. Je viens de comprendre qu’il y a pensé.»
La sagesse de son fils l’a bouleversée. «C’est admirable, qu’il dise ça. Il a une longueur d’avance sur moi», lance-t-elle.
Quelques jours plus tard, MarieJosée rappellera Le Journal pour confirmer qu’aucune trace de cancer n’a été trouvée dans la biopsie. «C’est le plus beau jour de ma vie», s’est-elle exclamée.
Après plus de deux ans d’absence, la mère retournera au travail et souhaite être présente pour ses enfants, notamment son fils aujourd’hui âgé de 18 ans et sa fille de 14 ans.
«Eux aussi, ils ont dû vieillir un peu plus vite, avec cette épreuve», dit-elle.
Jean-gilles se porte toujours bien.
Il y a quelques jours, il a repris son rêve là où il l’ avait laissé et a passé des préauditions pour la pro - chaine édition de La Voix junior.
« Je ne veux pas me dire : dans dix Jours, Je vais mourir. si Je dois mourir, Je veux que ce soit la tête vide, sans aucun souci, en me disant que J’ai vécu, que J’ai fait ce que Je devais faire, comme chanter. » – Jean-gilles Gadoury