Le Journal de Quebec

Une ligue de pirates

- STÉPHANE CADORETTE stephane.cadorette @quebecorme­dia.com

Le 20 novembre 2014, Le Journal m’envoyait à Oakland afin de réaliser un reportage sur les excentriqu­es, fidèles et mythiques partisans des Raiders. Impossible de demeurer insensible à la ferveur contagieus­e et à la sympathiqu­e démesure de cette horde de loyaux supporteur­s. Deux ans et des poussières plus tard, Las Vegas leur arrache leur précieuse équipe et c’est d’une injustice sans nom.

Les pauvres Raiders de l’époque venaient de perdre 16 matchs consécutif­s. Une pluie battante s’abattait sur la ville. Mais les fans n’étaient pas moins fous, bruyants, démonstrat­ifs. Et les Raiders, en ce jeudi soir gris, l’avaient emporté contre toute attente face aux Chiefs dans leur vieux stade bien rempli. Même après plus d’une décennie de médiocrité, ces fans ne rataient jamais un rendez-vous.

La NFL, hier, a toutefois décidé qu’il valait mieux délaisser l’inimitable passion d’un marché et sa riche tradition. Les Raiders continuero­nt d’évoluer à Oakland lors des deux ou trois prochaines saisons, en attendant leur luxueuse demeure à Las Vegas en 2020. Dans l’art de tourner le fer dans la plaie des partisans d’oakland, dur de faire plus crasseux.

PAS COMME LA LNH

Le circuit Goodell en est donc à son troisième déménageme­nt de franchise en 18 mois, après les Rams et Chargers.

Plusieurs se plaisent à dire que contrairem­ent à la LNH, la NFL est une ligue proactive qui règle vite fait ses problèmes. Or, tandis que la LNH s’entête à garder en vie des canards boiteux dans des marchés atypiques, la NFL vient de dépouiller Oakland de l’une des franchises sportives les mieux enracinées. En 2016, Forbes a établi la valeur des Raiders à 2,1 milliards, l’équipe ayant généré des revenus de 301 millions un bénéfice d’exploitati­on de 46 millions.

Alors avant de prétendre que contrairem­ent à la LNH la NFL se débarrasse de ses chiens galeux, mieux vaut comparer des pommes avec des pommes.

LES DOLLARS PUBLICS

La vérité, c’est que la sempiterne­lle question des stades mène le sport.

La Ville d’oakland a tenté une offensive à minuit moins une, mais le propriétai­re Mark Davis n’a jamais tendu l’oreille. Depuis un an, Davis n’a d’ailleurs pas daigné négocier avec la Ville. En termes plus clairs, le chemin vers Las Vegas était déjà tout tracé, quoiqu’il arrive à Oakland.

Plusieurs diront que si cette ville tenait tant à ses Raiders, il fallait en faire plus pour proposer un vrai projet de stade. Mais peut-on vraiment blâmer ses élus d’avoir refusé de se vautrer dans une orgie de dollars publics comme l’a indécemmen­t fait l’état du Nevada en allongeant 750 millions?

Dans une ère où les richissime­s propriétai­res d’une richissime ligue continuent de s’en mettre plein les poches à un rythme obscène en refilant la facture de leurs palaces subvention­nés à des citoyens submergés, qui sont les vrais bandits?

Ceux qui couvrent leur visage de noir et argent, qui paient leur billet et qui font la renommée d’une franchise avec leurs accoutreme­nts de pirates? Ou les gros bonnets en complet qui pillent sans vergogne l’âme d’une ville en lui enlevant son équipe? Les malfrats ne sont pas toujours ceux qu’on imagine.

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