L’ARMÉE SE VIDE
Les soldats quittent plus vite qu’ils arrivent
Jean-françois Belzil est l'un des nombreux soldats qui ont quitté l'armée avant la trentaine après trois missions en Afghanistan, la jugeant «pas intéressante».
Aux prises avec des problèmes de recrutement, l’armée canadienne a atteint un point critique. Depuis cinq ans, elle perd plus de soldats qu’elle n’en gagne, une situation qui inquiète des experts militaires.
Par exemple, en 2014-2015, si 4651 personnes se sont enrôlées dans la force régulière, 5490 militaires ont demandé au même moment à être libérés, selon les chiffres obtenus par notre Bureau d’enquête.
Plus du tiers des soldats qui ont quitté l’armée étaient âgés de moins de 30 ans.
Selon le lieutenant-colonel à la retraite Rémi Landry, ce problème est préoccupant.
«Ça doit être un sujet d’inquiétude pour l’armée. Si la situation n’est pas prise en main, on peut s’attendre à des répercussions importantes au cours des prochaines années», dit celui qui est également professeur à l’université de Sherbrooke.
Selon les experts consultés, cette situation pourrait s’avérer problématique car le Canada a besoin d’une armée solide pour faire face aux urgences, assurer la sécurité nationale et respecter les engagements militaires pris avec ses alliés internationaux.
PERTE D’EXPERTISE
M. Landry attribue la situation en grande partie au manque de défis intéressants pour les quelque 66 000 soldats de la force régulière et 23 000 membres de la réserve.
«Le budget de l’armée est sensiblement le même depuis 2009. On se serre la ceinture. Donc, les déploiements sont plus courts, les exercices militaires sont moins fréquents, etc. Ça tanne les gens qui aimeraient quelque chose de plus actif. C’est ce qu’on entend beaucoup sur le terrain», dit M. Landry.
Jean-christophe Boucher abonde dans le même sens. Il est expert en défense et professeur en sciences poli- tiques à l'université Macewan, à Edmonton.
«Quand c’est pour faire une intervention à l’international, on veut y aller. Quand c’est pour rester dans les baraques et s’entraîner, c’est moins l’fun», illustre-t-il.
«Le phénomène va aller en s’empirant. La vague de départs de vétérans n’est pas terminée. On est en train de perdre l’expertise acquise en Afghanistan.»
MOINS ATTRAYANT
Les conditions de travail au sein des FAC sont pourtant intéressantes, rappelle M. Boucher.
Selon les plus récents chiffres datant de 2013, un soldat peut toucher jusqu’à 4120 $ par mois. Un lieutenant-général (le deuxième plus haut gradé) reçoit un salaire mensuel de 21 067 $.
«Malgré cela, la perspective de faire carrière au sein des forces armées n’est plus très intéressante. Les FAC ont comme politique de bouger les gens de poste en poste, ce qui est difficile pour une famille. Et il y a l’attrait des conditions au privé», dit M. Boucher.
Du côté des FAC, on admet l’exis- tence d’un problème de rétention, tout en soulignant que l’effectif a augmenté de 3067 personnes dans la force régulière entre 2006 et 2016.
«Chacun a sa propre raison de vouloir soit rester, soit quitter. De nombreux facteurs contribuent aux variations du nombre des enrôlements et des libérations : la mission en Afghanistan, la croissance des retraites pour des raisons médicales, les changements de style de vie, de situation familiale, etc.», explique le porte-parole et major Alexandre Munoz.
NOUVELLE STRATÉGIE
L’armée travaille actuellement sur une stratégie de rétention afin de s’assurer que les militaires demeurent «qualifiés, compétents et motivés».
Elle désire aussi améliorer son recrutement.
Hier, il a été annoncé que le processus sera accéléré dans la réserve et que les candidats pourront bientôt être enrôlés en quelques semaines plutôt qu’en plusieurs mois.
Le budget annuel de la Défense est d’environ 18 milliards de dollars.