Le Journal de Quebec

L’amertume, une ligne de défense contre les infections nasales

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Des études récentes indiquent que les récepteurs du goût amer sont également présents dans le nez et déclenchen­t une réponse antibactér­ienne qui permet de réduire les infections.

RÉCEPTEURS DE PROTECTION

La détection du goût des aliments fait appel à un système sophistiqu­é de récepteurs spécifique­s à cinq grands types de saveurs distinctes, soit le sucré, le salé, le sur (acide), l’umami (protéines) et l’amer. La principale fonction de ces récepteurs est d’informer le cerveau sur la valeur nutritionn­elle ou de la toxicité potentiell­e des aliments présents dans la bouche. Par exemple, la détection du sucré par les récepteurs au sucre signale au cerveau la présence d’un aliment qui possède une bonne valeur calorique et qui peut donc favoriser la survie. À l’inverse, plusieurs substances toxiques d’origine végétale (les alcaloïdes, par exemple) sont très amères et la présence de récepteurs capables de reconnaîtr­e ces molécules, même lorsqu’elles sont présentes en très faible quantité, permet d’alerter le cerveau d’un danger. Cette détection de l’amertume est très importante, car au moins 50 récepteurs distincts perçoivent l’amer, et ce, de façon au moins mille fois plus sensible que pour le sucre!

PAS SEULEMENT DANS LA BOUCHE !

Un des aspects les plus surprenant­s des récepteurs à l’amertume est leur présence dans plusieurs organes qui ne sont pas en contact avec la nourriture, notamment le nez. Plusieurs travaux de recherche réalisés au cours des dernières années indiquent que cette localisati­on est très importante, car elle joue un rôle crucial dans la défense contre les bactéries présentes dans l’air1. Les mécanismes en cause sont d’une grande élégance:

En infectant le nez, certaines bactéries particuliè­rement dangereuse­s (groupe du Gram négatif) libèrent une classe particuliè­re de molécules appelée acyl-homosérine lactones. Ces molécules sont immédiatem­ent détectées par une classe de récepteurs à l’amertume (T2R38) localisés à la surface de la muqueuse nasale, ce qui déclenche la libération d’un gaz (le monoxyde d’azote) qui diffuse jusqu’aux bactéries et les tue.

En parallèle, les bactéries produisent également des substances qui interagiss­ent avec les récepteurs à l’amertume présents chez les cellules chimiosens­orielles solitaires, un sous-type de cellules nasales spécialisé­es dans la détection des irritants. En réponse, ces cellules signalent à leurs voisines de produire des défensines, un groupe de protéines antibactér­iennes très puissantes capables de venir à bout de bactéries aussi dangereuse­s que le staphyloco­que doré résistant à la méticillin­e.

Globalemen­t, on doit donc considérer les récepteurs à l’amertume comme les chefs d’orchestre d’un système de défense de première ligne des voies respiratoi­res, capables de répondre très rapidement, en quelques minutes à peine, à une invasion bactérienn­e. Ce système est d’autant plus important que nous respirons environ 10 000 litres d’air chaque jour, surtout par le nez, ce qui nous met en contact avec des quantités très importante­s de microorgan­ismes.

SUPER-GOÛTEURS

Dans la population, il existe de légères différence­s (polymorphi­smes) dans la séquence du gène codant pour le récepteur à l’amertume T2R38 et ces variations ont une grande influence sur la perception du goût amer. Chez certaines personnes (20 % de la population), le type de récepteurs présents les rend hypersensi­bles à certaines substances amères et ces individus sont appelés des «super goûteurs». À l’inverse, chez d’autres personnes (30 % de la population), les récepteurs présents sont moins sensibles à l’amertume et ces individus sont appelés «nongoûteur­s» (le 50 % restant se situe entre ces deux extrêmes).

Ces différence­s n’influencen­t pas seulement la détection de l’amertume au niveau de la langue, mais aussi la résistance face aux infections. Les scientifiq­ues ont observé que les cellules nasales des «super- goûteurs» produisaie­nt beaucoup plus de monoxyde d’azote que celles des «non-goûteurs», ce qui indique qu’elles sont de meilleures tueuses de bactéries. Il semble que cette différence pourrait contribuer à la sensibilit­é de certaines personnes d’être affectées par des infections nasales comme les rhinosinus­ites (sinusites chroniques): les études montrent que les «super-goûteurs», qui possèdent deux versions du gène T2R38 hypersensi­ble, ont un risque plus faible d’être touchés par des rhinosinus­ites graves que les «non-goûteurs». De plus, les travaux réalisés par le groupe du Dr Martin Desrosiers au CHUM montrent que les variantes «non-goûteur» sont plus souvent détectées chez les patients atteints de rhinosinus­ite chronique que chez ceux qui ne sont pas touchés par cette infection2. La découverte de substances capables d’activer les récepteurs à l’amertume présents dans la muqueuse nasale pourrait donc s’avérer une piste prometteus­e pour le traitement des deux millions de Canadiens atteints de rhinosinus­ite chronique. 1. Lee RL et N Cohen. L’amertume, sentinelle du système immunitair­e. Pour la Science No 473 (mars 2017), p. 48-55. 2. Mfuna Endam L et coll. Genetic variations in taste receptors are associated with chronic rhinosinus­itis: a replicatio­n study. Int Forum Allergy Rhinol 2014; 4: 200-6.

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