Le Journal de Quebec

Premier extrait du nouveau Marc Levy

«Octobre 2016, Cantonsde-l’est, Québec

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Je m’appelle George-harrison Collins. À ceux qui s’amusent de mon prénom, je réponds m’être assez fait ridiculise­r à l’école pour ne pas ignorer l’homonymie. Le plus étrange, c’est que nous n’écoutions même pas les Beatles à la maison, ma mère était plutôt Rolling Stones. Pourquoi ce choix, elle n’a jamais voulu me le dire. Ce n’est pas le seul de ses secrets que je n’ai jamais réussi à percer. Je suis né à Magog, et depuis trente-cinq ans, ma vie se déroule dans les Cantons-de-l’est au Québec. Les paysages y sont magnifique­s, les hivers longs et rudes, mais la lumière au bout de ce tunnel éclaire des printemps où tout renaît, puis viennent des étés caniculair­es qui font rougeoyer les bois et scintiller nos lacs. Khalil Gibran écrivait que la mémoire est une feuille d’automne qui murmure dans le vent avant de s’effacer. Ma mère m’a donné mes plus beaux souvenirs, les siens s’étiolent au creux de son automne. Lorsque j’avais vingt ans, elle n’avait de cesse de m’inciter à partir. «Cette province est trop petite pour toi, va visiter le monde», m’ordonnait-elle. Je ne lui ai pas obéi. Je n’aurais pu vivre ailleurs qu’ici. Les forêts canadienne­s sont ma terre, elles foisonnent d’érables. Je suis ébéniste. Quand sa tête était encore vaillante et son humour cinglant, elle me traitait de jeune vieux, chaque fois qu’elle me voyait grimper à bord de mon pick-up. Je passe la plupart de mon temps dans mon atelier. Travailler le bois est un acte empreint de magie pour celui qui aime transforme­r la matière. C’est en lisant les aventures de Pinocchio que j’ai voulu devenir menuisier. Geppetto m’avait donné à réfléchir. Si de ses mains il avait pu s’inventer un fils, peut-être que des miennes je pourrais m’inventer le père que je n’ai pas connu. J’ai cessé de croire aux contes à la fin de mon enfance, mais jamais à la magie de mon métier. Je fabrique des objets qui entrent dans la vie des gens, les tables autour desquelles des familles dîneront et créeront elles aussi leurs souvenirs, les lits où s’aiment les parents, ceux où rêvent leurs enfants, des bibliothèq­ues qui accueillen­t leurs livres. Je ne pourrais imaginer faire autre chose.» - Marc Levy, La dernière des Stanfield, Éditions Robert Laffont/versilio

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