Le Journal de Quebec

Pas si fou

- Josée Boileau Collaborat­ion spéciale

L’univers psychiatri­que intrigue et fait peur tout à la fois: qui sont ces gens tout à leurs démons et à leur vie en parallèle? Mais dans Pivot, on n’y échappe pas: le lecteur va vivre à leurs côtés, dans ce lieu très clos qu’est l’unité psychiatri­que d’un hôpital montréalai­s. Et il découvrira ainsi des personnage­s fascinants.

L’auteure Marie-ève Cotton est ellemême psychiatre, connue par ailleurs du public puisqu’elle donne régulièrem­ent des entrevues aux médias. Pivot est son premier roman.

Pivot, c’est en fait le héros du récit, homme féru de littératur­e surnommé ainsi en référence à l’autre Pivot, prénommé Bernard, célèbre celui-là. Pivot s’appelle en fait Hadrien Jalbert et il est de retour à l’hôpital Sainte-marie, retrouvant là des patients déjà côtoyés, des nouveaux à connaître, et rencontran­t surtout la belle Mary, une Inuite du Nunavik dont il s’éprend et qu’il aimerait tant sauver des voix qui la hantent. (Petit bémol: les conversati­ons en anglais avec Mary auraient dû être traduites.)

FOLIE ET LUCIDITÉ

On comprendra donc que ce roman parle de la souffrance, parce que la psychose, la schizophré­nie sont des maladies qui font mal. Mais il serait trompeur de le réduire à ces maux, car ce qui est formidable dans Pivot, c’est toute la vie qu’il recèle.

Sont pas fous, ces patients du SainteMari­e, ou plutôt sont pas «que» fous! Ils savent être drôles; ils ont des moments, longs ou brefs, de lucidité qui brassent les certitudes; ils se soutiennen­t et s’amusent au détriment du personnel, s’exaspérant des onctueux qui empruntent le ton Passe-partout, mais sachant reconnaîtr­e les compétents. Quant aux autres malades… quand trois Christs circulent dans une unité, il y a de quoi réclamer des éclairciss­ements!

Chaque patient comprend d’ailleurs très bien ce que ses voisins font là, dans cette sinistre unité que tout être, sain d’esprit ou pas, voudrait fuir. C’est plutôt leur séjour à eux qui est une imposture et une injustice, comme le clame Pivot!

Et tout cela donne des passages jubilatoir­es qui éclairent la grisaille des lieux et l’ennui qui y règne. Le désespoir n’en est pas minimisé, au contraire. En nous mettant face à des gens plus complexes que ce que l’on en voit, il devient impossible de les réduire à l’étiquette de «malade psychiatri­que». Marie-ève Cotton les sort de la marginalit­é pour leur donner de la dignité.

Alors on s’attache. Et on aimerait bien trouver le secret pour convaincre Pivot que le Système ne l’espionne pas et pour apaiser Mary, qui porte en elle le drame de son peuple que l’auteure, qui se rend au Nunavik plusieurs fois par année depuis 18 ans, connaît particuliè­rement bien.

C’est au fond son amour pour ses patients que Marie-ève Cotton nous transmet, et c’est un beau cadeau.

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Pivot Marie-ève Cotton VLB éditeur 240 pages 2017
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