Pas si fou
L’univers psychiatrique intrigue et fait peur tout à la fois: qui sont ces gens tout à leurs démons et à leur vie en parallèle? Mais dans Pivot, on n’y échappe pas: le lecteur va vivre à leurs côtés, dans ce lieu très clos qu’est l’unité psychiatrique d’un hôpital montréalais. Et il découvrira ainsi des personnages fascinants.
L’auteure Marie-ève Cotton est ellemême psychiatre, connue par ailleurs du public puisqu’elle donne régulièrement des entrevues aux médias. Pivot est son premier roman.
Pivot, c’est en fait le héros du récit, homme féru de littérature surnommé ainsi en référence à l’autre Pivot, prénommé Bernard, célèbre celui-là. Pivot s’appelle en fait Hadrien Jalbert et il est de retour à l’hôpital Sainte-marie, retrouvant là des patients déjà côtoyés, des nouveaux à connaître, et rencontrant surtout la belle Mary, une Inuite du Nunavik dont il s’éprend et qu’il aimerait tant sauver des voix qui la hantent. (Petit bémol: les conversations en anglais avec Mary auraient dû être traduites.)
FOLIE ET LUCIDITÉ
On comprendra donc que ce roman parle de la souffrance, parce que la psychose, la schizophrénie sont des maladies qui font mal. Mais il serait trompeur de le réduire à ces maux, car ce qui est formidable dans Pivot, c’est toute la vie qu’il recèle.
Sont pas fous, ces patients du SainteMarie, ou plutôt sont pas «que» fous! Ils savent être drôles; ils ont des moments, longs ou brefs, de lucidité qui brassent les certitudes; ils se soutiennent et s’amusent au détriment du personnel, s’exaspérant des onctueux qui empruntent le ton Passe-partout, mais sachant reconnaître les compétents. Quant aux autres malades… quand trois Christs circulent dans une unité, il y a de quoi réclamer des éclaircissements!
Chaque patient comprend d’ailleurs très bien ce que ses voisins font là, dans cette sinistre unité que tout être, sain d’esprit ou pas, voudrait fuir. C’est plutôt leur séjour à eux qui est une imposture et une injustice, comme le clame Pivot!
Et tout cela donne des passages jubilatoires qui éclairent la grisaille des lieux et l’ennui qui y règne. Le désespoir n’en est pas minimisé, au contraire. En nous mettant face à des gens plus complexes que ce que l’on en voit, il devient impossible de les réduire à l’étiquette de «malade psychiatrique». Marie-ève Cotton les sort de la marginalité pour leur donner de la dignité.
Alors on s’attache. Et on aimerait bien trouver le secret pour convaincre Pivot que le Système ne l’espionne pas et pour apaiser Mary, qui porte en elle le drame de son peuple que l’auteure, qui se rend au Nunavik plusieurs fois par année depuis 18 ans, connaît particulièrement bien.
C’est au fond son amour pour ses patients que Marie-ève Cotton nous transmet, et c’est un beau cadeau.