Tommy et nous
Un lecteur, que je remercie, m’a fait voir un éléphant que j’avais pourtant sous les yeux depuis des années.
The Who sera au Festival d’été de Québec le 13 juillet. Je ne pourrai pas y être et je le regrette amèrement.
Pour moi, The Who fait partie de la Sainte-trinité du rock avec les Beatles et les Stones.
Je les place un poil devant Pink Floyd, Led Zeppelin, Springsteen et U2. Elvis, lui, est une catégorie en soi.
Sentez-vous à l’aise de me dire votre désaccord.
CHOC
Son opéra Tommy (1969) est pour moi un des albumsconcepts les plus importants de l’histoire du rock. Je ne sais combien de milliers de fois j’ai écouté Pinball Wizard.
La version cinématographique de Ken Russell (1975) capte parfaitement l’esprit de l’album.
Tommy raconte l’histoire d’un petit garçon qui vit un traumatisme.
Son père, qu’il croyait mort à la guerre, revient et surprend, dans leur lit, sa mère et son amant. L’amant tue le père.
Le choc plonge Tommy dans une sorte d’état psychédélico-catatonique: il devient sourd, aveugle et muet.
Il passe son temps devant un miroir et n’a qu’une passion: jouer avec une de ces machines à boules qu’on appelle un flipper, dont il devient un champion.
Où est-ce que je veux en venir? Quel est cet éléphant que mon lecteur m’a fait voir?
C’est qu’il y a là une superbe métaphore du peuple québécois.
Comme Tommy, le peuple québécois a subi des traumatismes, a opté pour la fuite dans un monde parallèle et refuse de faire face.
Mon lecteur pense que le traumatisme originel serait la Conquête, dont on a longtemps fait, selon lui, une mauvaise lecture.
Moi, je pense plutôt que l’état actuel du Québec découle largement des deux défaites référendaires de 1980 et 1995.
Ce sont elles qui ont conduit tant de francophones à renoncer au combat et même à transmettre à leurs enfants l’idée qu’il est important de se battre pour quelque chose de plus que soi-même et son petit confort personnel.
FUITE
Pour moi, The Who fait partie de la Sainte-trinité du rock avec les Beatles et les Stones
Comme Tommy, nous sommes sourds et aveugles devant ce qui compte vraiment si ça nous déplaît.
Comme lui, on aime se contempler dans un miroir qui nous renvoie une image déformée et on consacre du temps à des amusements insignifiants.
Les défaites collectives ont des conséquences concrètes et durables. Mais pour ne pas faire face à la réalité, on se réfugie dans un monde virtuel.
Regardez ces téléréalités stupides, ces émissions de «veudettes» venues placoter de leurs vies de «veudettes», cette omniprésence du divertissement léger et aliénant.
Où est l’ambition collective? Où est le projet collectif? Où est l’élan pour construire quelque chose ensemble?
Tommy sort finalement de sa léthargie quand sa mère le lance dans le miroir, qui se fracasse.
Qui brisera notre miroir?