Vivre dans un CHSLD
Des patients et une vingtaine des préposés témoignent du manque de personnel, de temps et d’argent Héloïse Archambault
Patates en poudre, bains au noir, quotas de couches: voilà des années que l’actualité écorche les CHSLD du Québec où 36 000 aînés malades vivent leurs derniers jours. Malgré un budget annuel de deux milliards de dollars, plusieurs résidences semblent incapables d’offrir un «milieu de vie» digne de ce nom. Grâce à une vingtaine de témoignages recueillis l’automne dernier auprès des résidents et d’employés qui sont sur la ligne de front, Le Journal fait le point sur la vie au quotidien dans les CHSLD.
Subissant tous les jours les conséquences du manque de personnel et de soins de base, plusieurs résidents de CHSLD (centre d’hébergement de soins de longue durée) déplorent le manque de considération et de dignité.
«Ici, c’est l’unité 99. C’est une prison, sauf qu’on n’est pas coupables», confie Daniel Pilote, résident du CHSLD Champagnat, à Saint-jeansur-richelieu.
MOINS QUE LE MINIMUM
«On a des lois pour aider les gens à mourir, mais pas pour vivre. On est en dessous du minimal», ajoute l’homme de 55 ans atteint de dystrophie musculaire de Becker.
Selon plusieurs résidents, le problème majeur est le manque de personnel (voir autre page). «Il faudrait qu’ils réalisent que ça n’a plus de sens. La culotte a beau être absorbante, un moment donné il faut qu’elle soit changée», dit pour sa part Gabriel Lague, 26 ans, atteint de la dystrophie musculaire de Duchenne, qui vit dans un CHSLD de Contrecoeur, en Montérégie.
«La plupart des employés font leur possible. Malheureusement, c’est comme à l’usine, ajoute M. Pilote. C’est nous autres qui payons le prix. Il ne faut pas l’oublier.»
«Réveillez-vous, tout le monde! On ne demande pas grand-chose, on veut des services adéquats», résumait M. Pilote l’automne dernier.
Malgré des annonces d’ajout de personnel à l’automne, l’homme n’a vu aucun changement.
«Le personnel est complètement brûlé, rien n’a changé», disait-il récemment.
Souvent gravement malades et démentes, les personnes âgées en CHSLD n’ont pas de véritable voix pour faire entendre leur point de vue.
Ainsi, les «jeunes» résidents deviennent souvent des porte-parole essentiels pour faire valoir les droits.
«Ceux qui ne sont pas là mentalement ne peuvent pas se défendre», constate Gabriel Lague.
«Pensez-vous qu’une personne âgée va se plaindre? Non. Elle va se laisser brasser et ne dira pas un mot», ajoute M. Pilote.
DÉFAITISME
Et malgré la présence de comités de résidents pour les défendre, peu de changements sont notés.
«Il y a beaucoup de défaitisme. Les gens pensent que ça ne donne rien de se plaindre, a confié Jean Noiseux, qui vit au CHSLD Saint-charles-Borromée, à Montréal. On est écoutés, mais ça ne change rien.»
«C’EST UNE PRISON» - Daniel Pilote, résident
L’amélioration de la qualité de vie des aînés en CHSLD ne passe pas seulement par une hausse des budgets, mais par un changement de culture complet, croient plusieurs.
Actuellement, «les CHSLD ressentent le besoin de sauver leur peau, de se protéger contre des poursuites potentielles, contre la mauvaise presse, ce qui fait que le programme de changement est conçu à court terme», analyse Francis Etheridge, consultant en développement organisationnel dans les centres d’hébergement.
PROJETS PORTEURS
«Ils essaient de tout faire à la fois, et se retrouvent souvent à avancer par petits pas plutôt qu’avec des projets porteurs qui vont changer la culture», dit-il.
Selon M. Etheridge, la clé pour améliorer ces milieux de vie passe par les employés (préposés, infirmières), qui sont au coeur du système.
«Il faut arrêter de dicter par des lois, des normes. C’est requis qu’il y en ait, mais le défi, c’est d’engager le personnel, qu’il se sente partie prenante», dit-il, ajoutant que le mode d’évaluation de la qualité des soins doit être revu.
«Plus le personnel soignant sera heureux, engagé et respecté, plus les résidents vivront une expérience de qualité. Ça passe par eux!» assure M. Etheridge.
Un avis partagé par le Dr Jacques Potvin, un psychogériatre retraité qui a travaillé longtemps en CHSLD.
LE PRÉPOSÉ IMPORTANT
«La personne la plus importante dans un CHSLD, c’est le préposé, dit-il. Il n’y a rien de plus différent que cinq ou dix patients âgés du même âge. Ça prend une approche humaniste.»
En ce sens, plusieurs syndicats clament depuis des mois que les façons d’améliorer les choses sont bien connues, mais qu’elles tardent à s’implanter.
Parmi les solutions soulevées, on note l’importance de la stabilité du personnel, de meilleurs repas, et des ratios plus petits, pour donner de meilleurs soins. La piètre qualité des infrastructures est aussi souvent dénoncée.
«Les bonnes pratiques, on les connaît. Maintenant, c’est les actions et la volonté politique», dit Régine Laurent, présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé.