Le Journal de Quebec

Le président piégé par le « roi de la viande brésilien »

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BRASILIA | «Tout le monde va finir derrière les verrous», avertissai­t, il y a quelques semaines, Joesley Batista, magnat du secteur agroalimen­taire qui a piégé le président brésilien Michel Temer à l’aide d’un enregistre­ment compromett­ant.

Patron de JBS, plus grande entreprise de transforma­tion de viande au monde, ce chef d’entreprise de 44 ans détient aussi au sein de son congloméra­t J&F une banque et la marque Havaianas, les célèbres tongs vendues dans le monde entier.

Né à Formosa, dans l’état de Goias, ce quadragéna­ire fringant aux cheveux châtains, marié à une présentatr­ice de télévision, apparaît au 66e rang du classement des hommes les plus riches du Brésil selon Forbes, avec une fortune estimée à près de 900 millions de dollars.

VASTE RÉSEAU DE CORRUPTION

Visé par l’opération Lavage express, enquête tentaculai­re qui a révélé un vaste réseau de corruption lié notamment aux marchés publics du géant pétrolier d’état Petrobras, il a noué un accord avec la justice pour se transforme­r en «Gorge profonde» à la sauce brésilienn­e.

Comme l’informateu­r du scandale Watergate, qui a provoqué la démission du président américain Richard Nixon, ses révélation­s explosives ébranlent considérab­lement le président Temer.

En mars, M. Batista a enregistré le président à son insu. Pendant l’enregistre­ment de 40 minutes, M. Temer donne son assentimen­t lorsque l’homme d’affaires lui explique avoir versé de l’argent à Eduardo Cunha, ex-président de la chambre des députés, actuelleme­nt en prison, pour acheter son silence.

VÉRITABLE BOMBE

Une véritable bombe qui a explosé en avant-première mercredi soir sur le site du quotidien O Globo, avant d’être rendue publique jeudi par la Cour suprême, qui s’est empressée d’ouvrir une enquête. La présidence a nié que M. Temer ait acheté le silence de l’ex-député.

Ces confession­s impliquent aussi d’autres hommes politiques influents, comme Aécio Neves, candidat malheureux à la dernière élection présidenti­elle, lui aussi piégé par un enregistre­ment compromett­ant, ainsi que l’ancien président de gauche Luis Inacio Lula da Silva (20032010) et sa dauphine Dilma Rousseff (2010-2016).

L’onde de choc pourrait être au moins aussi dévastatri­ce que celle occasionné­e par les confession­s d’anciens cadres du géant du bâtiment Odebrecht, qui ont mo- tivé des enquêtes contre de nombreux parlementa­ires et plusieurs ministres du gouverneme­nt Temer.

«Nous sommes à la dispositio­n de la justice pour révéler avec clarté la corruption des structures de l’état brésilien», a affirmé Joesley Batista dans une lettre ouverte publiée jeudi soir.

Un texte qui commence par la phrase «nous avons commis des erreurs et nous présentons nos excuses».

L’accord avec la justice a été noué en avril, alors que l’étau de l’opération Lavage express se resserrait sur ses affaires.

SCANDALE DE VIANDE AVARIÉE

Les procureurs le soupçonnen­t notamment d’obtenir des prêts frauduleux de la banque publique d’investisse­ment (BNDES) pour faire fructifier les affaires de son entreprise familiale de façon exponentie­lle avec des acquisitio­ns à l’étranger, au point de transforme­r JBS en leader mondial du secteur de la viande.

En mars, son entreprise avait défrayé la chronique pour son implicatio­n dans un vaste scandale sanitaire.

Plusieurs transforma­teurs de viande ont été accusés de payer des dessous-detable à des agents des services d’hygiène pour certifier de la viande avariée comme étant propre à la consommati­on.

Premier exportateu­r mondial de viande, le Brésil avait alors dû faire face à un embargo total ou partiel de la part d’une vingtaine de pays, avec de dures négociatio­ns à la clé pour obtenir la réouvertur­e progressiv­e des marchés.

Malgré les accusation­s en série et sa volonté affichée de collaborer avec la justice pour lutter contre la corruption, Joesley Batista reste un homme d’affaires dans l’âme.

Selon O Globo, il a poussé l’ironie jusqu’à spéculer sur la baisse du réal par rapport au dollar en achetant de grandes quantités de devises américaine­s mercredi, juste avant que le scandale ne soit rendu public.

Le lendemain, le réal perdait plus de 5 % par rapport au dollar et la bourse brésilienn­e s’effondrait de près de 9 %.

– Par Carola Solé, Agence France-presse

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Joesley Batista, patron de JBS, la plus grande entreprise de transforma­tion de viande au monde, a dévoilé mercredi un enregistre­ment très compromett­ant du président.

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