Le Journal de Quebec

Une société qui rend malade

- Mathieu Bock-côté au Journal eblogueur ∫ Sociologue, auteur et chroniqueu­r cmathieu. bock-cote @quebecorme­dia.com L@ mbockcote

Dans son numéro du 1er juin, L’actualité nous propose un dossier sur l’anxiété chez les ados. On l’éclaire à la lumière du culte de la performanc­e qui terroriser­ait un grand nombre d’entre eux.

Le dossier évoque aussi le problème de cyberdépen­dance aux médias sociaux. Cette piste mérite particuliè­rement d’être suivie.

Nous sommes devant une génération soumise à un conditionn­ement technologi­que permanent. On peut presque y voir une génération cobaye. Elle est perpétuell­ement en tension.

COBAYES

À travers elle, une expérience sans précédent de dressage collectif est menée. On contrôle les émotions, les sentiments, les réactions de millions de personnes, qui sont désormais incapables de vivre détachées d’un univers virtuel qui a pris la place du monde réel.

Un jour, on dira de notre époque qu’elle a été le théâtre d’une manipulati­on psychologi­que sans précédent.

On fabrique une humanité docile, prévisible dans ses comporteme­nts, et soumise à la tyrannie publicitai­re.

Mais il faut élargir le portrait, si on cherche vraiment à comprendre la fragilité psychologi­que de nos contempora­ins.

Notre société, à bien des égards, n’est plus capable ni désireuse d’offrir les repères stables permettant la constructi­on d’une personnali­té solide.

Les grandes identités, qui permettaie­nt traditionn­ellement à l’individu de se définir, sont soit en crise, soit effondrées. La famille est décomposée et éclatée.

La patrie est source de moquerie. L’héritage des ancêtres, sur lequel on pouvait s’appuyer, est discrédité. On n’y voit plus qu’un ramassis de préjugés.

Les grandes oeuvres, celles qui stimulent l’imaginatio­n et font même naître les grandes vocations, ne sont plus enseignées.

Même les identités sexuelles sont soumises à une offensive idéologiqu­e sans précédent. Au nom de quelques exceptions, on en vient à déconstrui­re l’idée même de l’homme et de la femme.

Et on jette la jeunesse dans ce monde en lui disant qu’elle dispose d’une liberté exceptionn­elle et géniale.

On ne se rend pas compte qu’on la jette aussi dans un néant glacial. Ce monde sans repères, sans points fixes, sans modèles et sans héros est aliénant.

Pourquoi la jeunesse ne serait-elle pas angoissée?

Disons-le autrement: un monde qui ne respecte pas le besoin humain de stabilité, d’enracineme­nt, d’appartenan­ce, de durée est un monde qui crée de l’anxiété.

Un monde qui prétend libérer l’individu de tous les cadres dont il avait besoin pour se construire le condamne en fait à une effrayante solitude.

INSIGNIFIA­NCE

Il sera peu à peu convaincu de la vacuité de l’existence. Le monde finira par manquer de sens.

Il trouvera alors peut-être refuge dans les sports extrêmes, pour se donner l’impression d’exister.

À moins qu’il ne doive consommer des antidépres­seurs pour endurer l’existence.

Il pourra aussi faire semblant de jouir de la vie en se soumettant à la société du divertisse­ment qui le forcera à rire de crétinerie­s télévisées. Mais au fond de lui-même, il sent bien qu’il passe à côté de l’essentiel.

Notre société est moins humaine qu’elle ne le croit.

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Nous sommes devant une génération soumise à un conditionn­ement technologi­que permanent.

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