Le Journal de Quebec

Un ex-prof d’université tourne le dos à l’école

Après avoir eu un doctorat en littératur­e, il s’expatrie en Abitibi où il fait l’éducation de ses filles à la maison

- David Prince l Dprincejdm

ROUYN-NORANDA | Un ancien professeur d’université qui a tourné le dos à l’éducation dans les années 1970 compare maintenant les écoles à des prisons. Il est devenu un des pionniers de la simplicité volontaire en élevant des animaux et faisant la boulange en Abitibi.

Léandre Bergeron n’était venu qu’une seule fois en Abitibi lorsqu’il a acheté une vieille ferme abandonnée à Rouyn-noranda, en 1973. À cette époque, les gens quittaient en masse la campagne. Il a donc pu l’acheter pour une bouchée de pain.

Deux ans plus tard, il a quitté Montréal, à l’âge de 42 ans, pour réparer et agrandir la vieille maison. Il s’y est installé en élevant des moutons, des vaches et des poules, et en éduquant ses trois filles à la maison, le plus loin possible des bancs d’école et du gouverneme­nt.

«Les gens m’ont traité de fou. J’étais professeur d’université avec un bon salaire. J’avais des étudiants en masse, j’étais très connu dans le milieu politique et littéraire. Mais, pour moi, cette vie-là était une prison», raconte-t-il.

Lorsqu’il a quitté Montréal, ça faisait 14 ans qu’il enseignait la littératur­e à l’université Concordia. En 1970, il avait publié Le petit manuel d’histoire du Québec, un ouvrage engagé qui s’était vendu à 125 000 exemplaire­s dans la foulée de la Crise d’octobre.

Bref, il était très connu et influent dans la société québécoise bouillonna­nte de la Révolution tranquille.

Titulaire d’un doctorat en littératur­e obtenu à Paris, il était voué à un brillant avenir, mais il a choisi de faire un grand saut dans le vide.

«Je n’en pouvais plus. Mes patrons m’avaient dit de me contenter d’enseigner. Il n’y avait même plus de discussion­s. Les université­s étaient devenues des petites écoles de métier. C’était rendu plate. La quarantain­e est souvent une occasion de regarder derrière et de regarder vers l’avant. Est-ce que j’étais pour continuer de radoter à l’université pendant encore 25 ans? J’ai dit non à cette vie et je ne l’ai jamais regretté», raconte-t-il.

LIBRE

Dès son arrivée en Abitibi, il a tenté de devenir le plus libre possible allant jusqu’à s’assurer que ses besoins soient éliminés le plus naturellem­ent possible. «Je ne flushe pas dans le Saint-laurent. J’ai un champ de quenouille­s qui nettoie tout ça. La plus grande liberté, c’est ça. Vivre en harmonie avec la nature. J’ai 83 ans, je suis en forme et je ne suis jamais malade. Le travail physique est nécessaire à l’humain», affirme-t-il.

DÉPENDANCE

Bien qu’il vive maintenant très simplement en Abitibi, il n’a rien perdu de sa critique sociale. Selon lui, quand les gens se sont libérés de leur dépendance au clergé dans les années 1960, ils sont devenus dépendants de l’état.

Il a donc tenté d’être le plus indépendan­t possible dans toutes les sphères de sa vie. Il s’est notamment occupé luimême d’aider sa femme, Francine, à accoucher de ses trois filles.

«Il n’y a rien de plus naturel qu’un accoucheme­nt. C’est le bébé qui fait le travail. La femme n’est que la piste d’atterrissa­ge. C’est l’enfant qui décide quand il est prêt. Les médecins d’ici veulent aller vite pour passer à un autre. Mais ce n’est pas ça, la nature», dit-il.

ÉDUCATION

Dans sa logique de liberté absolue, il a laissé ses filles totalement libres d’apprendre ce qu’elles voulaient quand elles le voulaient. À l’exception de l’aînée, qui est allée à l’école pendant six mois, aucune n’a fréquenté les établissem­ents d’enseigneme­nt.

«L’école apprend aux enfants l’obéissance. On dit aux enfants quoi faire, comment le faire. C’est un lavage de cerveau. On leur montre à bien écouter l’état et à suivre les règles. C’est comme ça qu’ils entrent dans le rang pour leur vie adulte», a-t-il dit.

Selon M. Bergeron, lorsque les enfants voient leurs parents lire et écrire, ils veulent apprendre. «Ce sont elles (mes filles) qui posaient des questions pour que je leur montre. Même chose pour le travail sur la terre. Elles n’ont jamais été obligées de rien faire. Si elles voulaient jouer toute la journée, elles pouvaient le faire. Ce qu’elles ont appris, c’est parce qu’elles voulaient l’apprendre», raconte-t-il.

Pour Léandre Bergeron, l’invention de l’école obligatoir­e a d’abord et avant tout été une façon de contrôler la société et de s’assurer que tout le monde entre dans le moule.

PAS PEUR DE LA MORT

Selon Léandre Bergeron, la première chose à faire avant d’avoir le courage d’abandonner le conformism­e pour aller vivre sur une fermette en campagne est de travailler sur soi.

«Ce sont les peurs qui nous empêchent d’agir. On a peur de quoi? Manquer de nourriture? Ben voyons, je vais me débrouille­r, je ne suis pas débile. Je partais avec 10 pains le matin et j’allais voir mes amis», a-t-il dit.

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 ??  ?? 1. Les trois filles de Léandre Bergeron, nées en Abitibi, n’ont jamais fréquenté l’école, une institutio­n que leur père compare à une prison. Sur la photo, Phèdre et Deirdre en 1993. 2. Léandre Bergeron a toujours fait son bois de chauffage luimême. 3....
1. Les trois filles de Léandre Bergeron, nées en Abitibi, n’ont jamais fréquenté l’école, une institutio­n que leur père compare à une prison. Sur la photo, Phèdre et Deirdre en 1993. 2. Léandre Bergeron a toujours fait son bois de chauffage luimême. 3....
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