Le Journal de Quebec

Des rues de Detroit au coin de Stevenson

Sugar Hill était présent ce jour-là. Au célèbre Kronk Gym dans un quartier rugueux de Detroit la mal-aimée. La veille, un solide Noir de Montréal, baragouina­nt à peine quelques mots d’anglais, avait voulu se présenter au légendaire Emanuel Steward, le pro

- réjean tremblay rejean.tremblay @quebecorme­dia.com

Personne ne lui avait parlé. À la fermeture, Steward lui avait simplement dit de revenir le lendemain.

Et on était le lendemain. Sugar Hill se rappelle que le premier qui a vu arriver Adonis fut Arthel Bam Lawhorne. « Hey! Here is some fresh meat! » lança-t-il pour prévenir les autres. De la viande fraîche pour s’amuser. C’est comme ça qu’on accueille les nouveaux au Kronk.

Adonis enfila une paire de gants et s’installa dans le ring contre un 168 livres. Après deux rounds, le gars était passé dans le tordeur. On lui offrit un 175 livres. Même conclusion en un round. Emanuel Steward commença à se gratter le cuir chevelu. Allez, on essaie un 200 livres. Un round, exit! Finalement, on invita Bam à s’essayer. Il dura un round. Et ce Lawhorne est le même gars qui mit fin à la carrière d’eddy Mustapha. Ayoye.

SELON LA VIEILLE TRADITION

C’était du sérieux. Quatre boxeurs, dont un poids lourd pour cinq rounds de sparring. Et les quatre étaient à bout de souffle. Il se passait quelque chose.

Le soir même, Emanuel Steward appelait Yvon Michel et lui annonçait : «Ton gars, c’est d’accord, je le prends.».

Sugar Hill s’appelle en réalité Javan Hill. Il est né à Detroit il y a 46 ans. Il est le neveu d’emanuel Steward. Il a toujours appris le métier d’entraîneur de boxeur: «J’avais trois ou quatre ans et j’allais flâner au gym de mon oncle. Aujourd’hui, je réalise que ce que j’ai appris remonte à mon enfance. Et je réalise aussi qu’on passe toute sa vie à apprendre à devenir un bon entraîneur», confie Sugar.

Il travaille à l’ancienne. Comme il l’a appris. Il n’y a pas de nutritionn­iste avec Adonis. C’est Sugar qui fait la cuisine. Il n’y a pas de préparateu­r physique. C’est encore Sugar: «En fait, on ne fait rien de bien compliqué. Je travaille sur trois points de base. L’équilibre, la position des mains et comment donner correcteme­nt un coup. Jab, crochet, direct. On commence toujours par l’équilibre. Chaque camp est un rappel de la recherche de l’équilibre sur le ring. Adonis doit toujours être d’aplomb sur ses pieds quand il lance un coup. Et ses mains doivent être bien positionné­es. Après, le coup doit être donné selon une technique qui maximise la force de l’impact. C’est simple», dit-il.

Ce qui n’est pas simple, c’est la relation très personnell­e entre l’entraîneur et son athlète. Sugar et Adonis vivent deux camps par année. Chaque fois, c’est six à huit semaines d’intimité: «On mange ensemble, on va marcher ensemble, on jase et on jase encore. Parfois, on va voir un film, on en parle. Je dois sentir exactement comment il est, comment il va. On est comme un couple quand il fonctionne», ajoute Sugar.

DANS LA POLICE DE DETROIT

Il n’y a pas grand-chose qui fasse peur à Sugar Hill. Il vient d’un quartier de Detroit où tous ses amis d’enfance ont un casier judiciaire. Tous, sans exception. Il a grandi en traînant dans les rues, souvent à la limite de traverser la ligne du crime. Dope, crack, vols par effraction, tout y passait dans le quartier: «Ce qui m’a sauvé de la rue et probableme­nt ce qui a sauvé ma vie, c’est d’être entré dans la police de Detroit. J’étais encore dans la rue quand je patrouilla­is, mais c’était du bon point de vue. Je comprenais ce qui se passait et ce qui se disait puisque je venais de là. Mais je devais rester discret puisque pour plusieurs, devenir policier était une grande trahison », raconte-t-il.

Il va passer douze ans dans la police. Il va se faire tirer dessus: - Quel effet ça fait ? - Ton instinct te dit de courir. Mais il faut en premier trouver d’où est parti le coup. C’est pas évident, répond-il en haussant les épaules.

Pendant toutes ces années, il continue à entraîner des boxeurs en respectant la règle d’emanuel Steward: «Ne prends pas les boxeurs des autres, développe les tiens». Adonis lui a été confié quand Emanuel est mort en 2012. Les deux hommes ont été dévastés par la douleur.

D’ailleurs, après l’entrevue, en marchant dans le hall du Marriott, Sugar qui venait de parler de son oncle qu’il vénérait, avait de grosses larmes qui coulaient sur son visage: «Tu m’as fait pleurer avec tes questions», a-t-il dit, un peu gêné.

C’est pas les questions, Sugar, c’est les souvenirs.

UN CHRÉTIEN PRATIQUANT

Sugar est le plus gentil des hommes. Ça fait des années qu’on lui enseigne le français avec la scène du film Elvis Gratton. «Sugar, avec Tabarnak, tu peux tout exprimer. La joie, la peine, la colère, l’amour, le désir, la déception. Tout est dans l’intonation. Tabaaaaaaa­aarnak! c’est la surprise. Tu saisis?»

Il a saisi. Mais il se méfie quand même. Faut dire qu’il a été baptisé il y a de nombreuses années, qu’il a été touché par la foi et que c’est un chrétien pratiquant. Il travaille dur avec Adonis avec qui il a de longues conversati­ons téléphoniq­ues entre deux combats ainsi qu’avec Anthony Terrell et Charles Martin, le gros poids lourd qui sont deux de ses autres clients.

Malheureus­ement, je ne vous raconterai pas le quart de la demie de ce que cet homme passionnan­t aurait à offrir par le fait d’être connu. Comment il a toujours rêvé d’être boxeur, mais comment il n’a jamais pu s’offrir l’opération chirurgica­le qui aurait été nécessaire à sa main gauche.

Comment et comment et encore comment…

Ça sera pour une autre fois.

 ??  ?? Sugar travaille sur trois points de base avec ses boxeurs, dont Adonis Stevenson. L’équilibre, la position des mains et comment donner correcteme­nt un coup: jab, crochet, direct.
Sugar travaille sur trois points de base avec ses boxeurs, dont Adonis Stevenson. L’équilibre, la position des mains et comment donner correcteme­nt un coup: jab, crochet, direct.
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