Le Journal de Quebec

chanceux d’en sortir vivant

Un camionneur a caché des centaines de kilos en dessous de sa remorque en traversant la frontière. il a mené la grande vie jusqu’à son arrestatio­n. il veut que son expérience serve de leçon À d’autres.

- CAROLINE LEPAGE

Le camionneur Guy Asselin menait une petite vie rangée lorsqu’on lui a un jour proposé d’importer de la cocaïne au Canada. L’attrait de l’argent vite fait a eu raison de lui. Mais il n’imaginait pas dans quel univers violent il venait de mettre les pieds.

Pendant une année, l’homme de 51ans a entré des centaines de kilos au pays avec l’aide de sa conjointe. Mais il n’en était pas fier. Le stress et la peur étaient son quotidien au point où il se demandait s’il allait se faire tuer ou arrêter en premier. Mince consolatio­n, il s’est fait prendre, en 2014, avec 39kilos cachés sous sa remorque.

L’homme d’acton Vale raconte maintenant son histoire digne de Hollywood à visage découvert afin de mettre en garde les autres camionneur­s contre l’appât du gain.

Une des seules conditions qu’il a mise pour raconter son histoire est de ne pas donner le nom de famille de sa conjointe.

Guy Asselin n’était pourtant pas destiné à devenir un trafiquant, lui qui a cessé de consommer toute drogue et tout alcool il y a plus de 25 ans.

Mais un jour, qu’il roulait sur la route 401 en Ontario vers le Québec, il a commencé à jaser avec un homme au «CB». Sa conjointe était à bord du camion.

«On voyageait toujours ensemble», précise-t-il.

L’individu lui a demandé s’il travaillai­t depuis longtemps comme camionneur, s’il trouvait qu’il gagnait assez d’argent.

Durant la conversati­on, l’homme lui a offert tout bonnement de faire un voyage payant de temps en temps. Il disait qu’il avait besoin de gars comme lui pour transporte­r de la cocaïne. Un seul voyage de drogue pouvait lui rapporter des dizaines de milliers de dollars.

«Sur le coup, je l’ai envoyé promener, mais ma blonde a allumé en “ostie”. Elle avait de gros problèmes de consomma- tion de drogue. Quand je l’ai connue, Julie était abstinente, mais elle a fait une rechute. Elle voyait juste les signes de piastre», s’enflamme-t-il.

Les jours suivants, le couple a repris la route pour une autre livraison de marchandis­e régulière.

«Elle n’arrêtait pas de m’en parler. Elle n’a pas arrêté de la fin de semaine. Moi, j’étais à jeun, et cette propositio­n me faisait vraiment peur», poursuit-il.

Après plusieurs discussion­s, sa conjointe l’a finalement convaincu de faire quelques voyages, de mettre de l’argent de côté et d’arrêter ensuite. Guy Asselin a donc rappelé l’individu du «CB».

SON PREMIER VOYAGE

Le conducteur a d’abord pris un mois de congé auprès de son employeur pour ne pas l’impliquer dans cette aventure.

Il a été embauché au sein d’une nouvelle compagnie où un complice donnait au couple des contrats de transport de marchandis­es légales qui coïncidaie­nt avec des livraisons de drogue. On lui a également fourni un camion et une remorque.

Avant de partir, M. Asselin et sa conjointe recevaient un numéro de téléphone et un mot de passe. Ils devaient acheter un téléphone jetable, établir les contacts avec les trafiquant­s et s’en débarrasse­r ensuite.

«La première fois, ils te testent. Ils te donnent seulement cinq à dix kilos de coke à ramasser. Après sept à huit voyages, ils peuvent monter à coup de 50, 100 et 200 kilos», fait-il savoir.

À titre d’exemple, 100 kilos de cocaïne de bonne qualité valent, sur le marché noir, environ cinq millions de dollars.

Son premier contrat a été le pire. Au moment de la transactio­n de drogue, Guy Asselin était terrorisé en voyant les trafiquant­s qui étaient tous armés. La transactio­n se déroulait dans un local sombre éloigné de l’autoroute. Si ça avait mal tourné, personne n’aurait pu les aider.

«Je ne m’attendais pas à voir ça pantoute. On tremblait tellement c’était in-

tense», s’exclame-t-il.

Les transactio­ns se déroulaien­t principale­ment au Texas, à Chicago et en Californie. Le couple faisait toujours affaire avec des Mexicains.

«Je n’aurais pas pu faire cette job-là seul parce que tout se passe en espagnol. Ma blonde est trilingue. Elle a étudié au Chili quand elle était plus jeune. C’est elle qui parlait avec eux», insiste le camionneur.

Les voyages suivants n’étaient pas plus rassurants.

«Ils pouvaient être trois ou quatre Mexicains. Il y en avait toujours un qui débarquait sur le bord de la route pour faire le guet. Il était armé», détaille-t-il.

Il était tellement stressé à ces moments-là que ça lui prenait au moins 100 kilomètres de route pour retrouver son calme après une transactio­n, tellement son rythme cardiaque augmentait.

Il savait que sa compagne et lui risquaient jusqu’à 25 ans de prison s’ils se faisaient arrêter aux États-unis avec une cargaison de drogue.

«J’avais peur que des polices ou des bandits nous suivent. On aurait pu me mettre une puce électroniq­ue pour nous ramasser plus loin. Toutes les questions me tournaient dans la tête», confie le conducteur de véhicule lourd.

pris dans l’engrenage

Guy Asselin dit qu’il avait conçu et installé deux compartime­nts dans le châssis de la remorque de son camion où il cachait sa drogue. Il fallait être en dessous de la remorque pour les voir. Les deux compartime­nts étaient soutenus par des vis.

Le passage aux douanes canadienne­s s’avérait également une source de stress infernal, même si le conducteur d’expérience détenait une carte «Fast/express» qui accélérait le passage aux frontières.

«Chaque fois, le coeur voulait me sortir de la poitrine. Une heure avant de traverser les douanes, ma blonde me donnait une de ses pilules pour réduire l’anxiété. Ça me détendait. Arrivé à la frontière, je réussissai­s à donner mes papiers calme- ment. Les douaniers le sentent si on est nerveux», croit-il.

Se promener aux États-unis avec des dizaines de kilos de cocaïne l’obligeait à être très prudent pour ne pas se faire arrêter.

Mais un jour, il a eu une méchante frousse quand il a accroché un autre camion en reculant dans un relais routier. La police a dû intervenir.

«J’avais 100 kilos de coke dans le truck. Ça sentait fort. Je me disais que si les policiers avaient un pif comme le mien, ils allaient fouiller le camion. J’étais fait à l’os!» relate-t-il.

M. Asselin explique que la cocaïne pure a une odeur puissante, même si elle est enveloppée. Il mettait continuell­ement du désodorisa­nt dans le camion et du poivre noir où se trouvait la drogue pour empêcher les chiens policiers de repérer l’odeur.

Guy Asselin évitait d’ailleurs d’aller dans des régions plus hot, comme le sud du Texas.

«Il y avait tellement de polices des douanes. On en voyait à toutes les haltes routières. Elles étaient toujours accompagné­es de deux ou trois chiens», dit-il.

Chaque fois qu’il passait à la douane, il risquait de se faire arrêter. Il aurait suffi que le douanier l’envoie à l’inspection et c’en était fini.

«Je soignais mon apparence. J’étais super propre. J’étais bien habillé, bien peigné. Je cachais mes tatoos. Mon camion était impeccable», assure-t-il.

Un autre incident est survenu au Québec alors qu’il devait faire inspecter sa remorque lors d’un contrôle routier. Le mécanicien qui faisait les vérificati­ons est venu le rencontrer pour l’informer qu’il y avait quelque chose au sol. Un kilo de cocaïne, bien enveloppé, était tombé par terre.

Guy Asselin n’en a pas fait de cas. À la fin du contrôle, le routier a donné 100 $ au mécanicien et il n’en a jamais entendu parler.

À une autre occasion, son camion a fait l’objet d’une fouille complète alors qu’il se trouvait au Canada avec de la cocaïne dans sa cargaison.

«Ils n’ont rien retrouvé, mais j’ai eu la peur de ma vie», exprime-t-il.

Quand il a raconté cet événement à son meilleur ami, qui est décédé aujourd’hui, celui-ci a réagi: «Vous devez trouver le moyen d’arrêter ça. Vous ne pouvez plus jouer avec le feu. C’est fini, le gros».

FUSIL SUR LA TEMPE

Quelques semaines après avoir commencé à importer de la drogue, M. Asselin et sa conjointe en avaient assez.

Ils étaient stressés au maximum en allant rencontrer leur contact pour lui dire qu’ils ne voulaient plus être leur mule.

«Quand j’ai dit qu’on voulait arrêter, on m’a mis le gun sur la tempe. On m’a fait comprendre que ce n’[était] plus moi qui décidais, sinon j’allais disparaîtr­e et ma petite amie aussi», se souvient-il.

Pris dans l’engrenage, le couple a donc poursuivi sa «collaborat­ion» pendant environ un an. Douze mois de stress et d’inquiétude­s alors que sa conjointe sombrait de plus en plus dans la consommati­on de drogue.

Il dit avoir connu la «gloire». Il refuse de dévoiler le montant qu’il recevait à chaque passage à la douane, se contentant de parler de plusieurs dizaines de milliers de dollars.

«Je faisais venir la limousine pour aller au resto. J’organisais des partys avec des gros prix de présence. J’ai toujours eu grand coeur. Tu as des tas d’amis dans ce temps-là», illustre celui qui se faisait appeler le «Prince des bums».

Il n’avait cependant jamais la conscience tranquille.

«Je me demandais toujours comment ma vie allait se terminer, si j’allais me faire arrêter ou si j’allais me faire tuer», souffle-t-il.

Le danger était imminent. Une fois sur trois ou sur quatre, le duo se voyait confier un contrat de transport de drogue pour lequel la transactio­n était annulée à la dernière minute.

«Les trafiquant­s sentaient la soupe chaude. Dans ce temps-là, on me donnait un bonus de 1000$ pour compenser mon kilométrag­e», explique-t-il.

Plus l’argent entrait, plus la conjointe du camionneur abusait de la drogue.

«Pendant que je roulais, ma blonde consommait. Elle avait les moyens de se payer de la cocaïne comme bon lui semblait. Des fois, je l’embarquais dans le camion sans qu’elle en ait connaissan­ce tellement elle était gelée. Je trouvais ça extrêmemen­t dur à vivre, moi qui suis “clean” depuis plus de 27 ans», exprimet-il.

C’est finalement un douanier du poste frontalier Blue Water, en Ontario, qui lui a peut-être sauvé la vie. Le 19 novembre 2014, le couple a été arrêté alors qu’il tentait de franchir la frontière avec 39 kilos de cocaïne cachés sous la re- morque du camion.

Aujourd’hui, Guy Asselin voit le positif de cette arrestatio­n. Mais à l’époque, il capotait.

Dans sa cellule de prison à Sarnia en Ontario, il s’en voulait à mort. Il a été accusé d’importatio­n de cocaïne.

«Lors de mon premier 24 heures en prison, j’ai voulu me suicider. J’ai tenté de me pendre avec des draps de ma cellule que j’avais déchirés», confie l’homme.

Une vision de sa défunte mère, qu’il aimait énormément, l’a finalement convaincu de ne pas passer à l’acte.

«Elle m’a dit d’assumer et qu’elle allait m’aider», poursuit-il.

Le séjour entre les murs, qui a duré un peu plus d’un mois, lui a paru interminab­le.

«C’était sale. On bafouait mes droits. J’ai passé 22 jours dans un genre de trou, sans pouvoir dire si on était le jour ou la nuit», dit-il avec dédain.

Guy Asselin a été interrogé à plusieurs reprises par des personnes en au- torité pour qu’il identifie les trafiquant­s avec qui il transigeai­t, mais il a toujours gardé le silence.

«Je vais mourir avant de parler», répétait-il.

ELLE VA SEULE EN PRISON

Ce père de deux enfants a été libéré sous condition après environ un mois d’incarcérat­ion. Son fils a dû donner 50 000 $ pour qu’il puisse sortir de prison.

Sa conjointe a décidé de plaider coupable, le 16 novembre 2015, et de prendre l’entière responsabi­lité du trafic de drogue. Les accusation­s contre M. Asselin ont été retirées. Il n’est donc jamais retourné en prison. «Elle se sentait coupable d’avoir autant insisté pour qu’on accepte de faire ça», confie le camionneur.

De plus, l’ancienne fonctionna­ire et détentrice d’une maîtrise en travail social n’avait plus d’emploi. Ses problèmes de consommati­on avaient ruiné sa carrière.

Contrairem­ent à son conjoint, elle n’avait jamais eu d’enfants.

«Elle savait la bonne relation que j’avais avec eux et elle voulait que je reste disponible pour mes enfants», mentionne-t-il.

Cette dernière acceptait donc de purger seule la peine d’emprisonne­ment. Elle a pu bénéficier d’une semaine de liberté avant de recevoir sa sentence. Le couple en a profité pour se marier… pour le meilleur et pour le pire.

Le 10décembre 2015, elle a écopé de huit ans de détention.

«C’était triste de nous voir au Tribunal. Je pleurais comme un enfant. Elle aussi», raconte l’homme.

L’époux a dû attendre sept mois avant de pouvoir visiter sa femme en prison. Il a même demandé au député fédéral de Saint-hyacinthe d’intervenir.

LE PRINCE DES PAUVRES

Même s’il a conservé sa liberté, Guy Asselin a surmonté son lot d’épreuves. L’arrestatio­n a créé un choc dans son entourage. Sa fille, qu’il adore, a mis du temps avant de lui reparler.

Des amis d’enfance se sont tassés. Une

mention de «gangstéris­me» a été notée à son dossier de crédit, qui est à refaire.

Celui qui se faisait appeler le «Prince des bums» a traversé une période dépressive, au cours de laquelle il a consulté un profession­nel.

«Je lui racontais ce que je vivais, mais j’avais peur de traumatise­r le psychologu­e», lance-t-il.

L’homme a eu du mal à réintégrer un emploi dans son domaine. Il envoyait des dizaines de curriculum vitae sans jamais avoir de nouvelles. Il a alors compris que sa feuille de route sans tache ne valait plus rien depuis son arrestatio­n. «J’étais barré», résume-t-il. Celui qui se surnomme désormais le «Prince des pauvres» a quand même réussi à se faire réembauche­r comme camionneur, au bas de l’échelle.

Il doit cet emploi à une connaissan­ce qui lui a donné une chance de se racheter.

Son employeur est situé à deux pas de chez lui, à Acton Vale, au Centre-du-qué- bec. Même s’il trouve son travail très exigeant physiqueme­nt, il l’apprécie.

«Mon employeur accepte de me don- ner congé quand j’ai la permission d’aller voir ma femme en prison pendant 72 heures», souligne-t-il.

Ses déplacemen­ts pour le travail se limitent désormais au Québec seulement.

Ses avocats lui conseillen­t d’ailleurs d’oublier les voyages aux États-unis, que ce soit pour le travail ou pour des vacances. «Il ne faut pas réveiller les fantômes!», l’ont-ils averti.

Nouvelle vie

« Elle voit maintenant l’arrestatio­n comme une délivrance. Elle se dirigeait vers une mort certaine. c’est triste, mais c’est la vérité.» –Guyasselin

Aujourd’hui, Guy Asselin rêve d’une nouvelle vie avec sa femme, qui a cessé de consommer de la drogue derrière les barreaux.

«Elle voit maintenant l’arrestatio­n comme une délivrance. Elle n’a pas hésité à choisir la prison aussi pour cette raison. Elle se dirigeait vers une mort certaine. C’est triste, mais c’est la vérité», insiste-t-il.

La détenue commencera, l’automne prochain, une formation en horticultu­re, puisque le couple prévoit se lancer dans de nouveaux projets.

«Je vais de mieux en mieux depuis que je n’ai plus d’argent sale. Je n’ai jamais été aussi pauvre, mais j’ai maintenant la paix d’esprit et la conscience tranquille», constate-t-il.

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 ??  ?? Les 39 kilos de cocaïne avaient été placés dans des sacs sous le camion. Mais les douaniers connaissai­ent la ruse de Guy Asselin en 2014.
Les 39 kilos de cocaïne avaient été placés dans des sacs sous le camion. Mais les douaniers connaissai­ent la ruse de Guy Asselin en 2014.
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Le camion qui a servi au couple pour transporte­r des centaines de kilos de cocaïne.

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