De notre folklorisation
Les spectacles et les remises de prix de fin d’année dans les écoles de nos enfants ont le don de me déprimer.
Certainement pas à cause de l’humour potache qu’on y pratique. Je ne suis pas insensible non plus à cette «belle énergie» de la jeunesse-qui-a-lavie-devant-elle. Tout cela est contagieux, me rend joyeux. Ce n’est pas non plus le talent qui manque.
Ce qui manque, en fait, c’est le français, notamment dans les chansons.
Lors d’une remise de diplôme à laquelle j’ai assisté récemment, des finissants de secondaire V avaient eu à choisir un extrait d’une chanson qui les caractérise. Au moins 98 % des ritournelles étaient anglaises.
Quand les enfants prennent leur courage à deux mains pour chanter devant leurs consoeurs et confrères, c’est en anglais qu’ils le font, systématiquement.
Pour plusieurs, le français est «kétaine», inintéressant. Ils en connaissent peu le répertoire. Peutêtre qu’on leur en a trop peu parlé à l'école.
COMME VIVRE AUX ÉTATS-UNIS
Une chanson me revient souvent en tête dans ces moments: «Vivre en ce pays / C’est comme vivre aux ÉtatsUnis», de Pierre Calvé, interprétée avec mélancolie par Robert Charlebois: «Les mêmes danses, les mêmes chansons.»
Aujourd’hui, c’est, en plus, les «mêmes mortiers», que les étudiants de secondaire V lancent en l’air, comme dans ces films américains que tout le monde regarde sur le «même Netflix».
J’imagine plusieurs lecteurs se dire, en me lisant: «Ce Robitaille est antiaméricain.» «Doublé d’un vieux #mononcle101 borné baby-boomer, nostalgique d’une autre époque.» «Les enfants sont libres de choisir ce qu’ils écoutent et chantent. C’est devenu leur culture.» «Et l’anglais est tellement important aujourd’hui.»
Sur l’antiaméricanisme, vous ne m’aurez pas. J’admire de nombreux as- pects de la culture américaine. Mais devons-nous tous devenir des Américains? Pouvons-nous encore vouloir cultiver une différence, vouloir transmettre certains traits culturels? (Oh, en passant, je ne suis pas un boomer, mais un X!) Quant à l’anglais, je ne nie pas son importance.
ROULEAU COMPRESSEUR
Non, c’est l’aspect rouleau compresseur de l’anglais et de la culture américaine qui m’effraie. Lequel est décuplé en cette ère de réseaux sociaux et de «netflixisation» (si vous permettez un néologisme). Dans les années 1990, les futurologues soutenaient que l’ère de l’internet serait celle de la diversité. Contrairement à celle des médias de masse, elle laisserait les gens libres de choisir! Finalement, une autre sorte de culture de masse, plus forte que jamais, se forme. Les petites digues que nous avions érigées à l’ère des médias de masse pour faire face au déferlement – même si elles ont encore leur effet – s’avèrent moins efficaces. Tellement que le CRTC songe, sous la pression des diffuseurs, à les abolir, ce qu’a justement dénoncé le Parti québécois hier. (Et on peut imaginer Claire Samson de la CAQ et Luc Fortin du PLQ aller dans le même sens.)
FOLKLORISATION
«Contre le risque de nouvelles hégémonies, contre les dangers […] de folklorisation des cultures, la véritable chance d’un nouvel humanisme mondial doit passer par l’apport original et constructif des personnes nationales, dont nous sommes», déclarait René Lévesque en 1977 à Paris. 40 ans plus tard, la folklorisation nous guette plus que jamais: voyez les chansons en français, réservées aux soirs de «Saint-jean-baptiste», mais pratiquement exclues le reste de l’année. Vous aurez sûrement quelques initiatives locales et non liées à la fête nationale, du type «hommage à la langue française», à me signaler, dans telle école, tel cégep. Parfait. Parlezm’en; ça m’intéresse. Ça me remontera le moral.