Le Journal de Quebec

D’automutilé­e à chercheuse honorée

L’étudiante Ariane Beaulieu est primée pour ses travaux sur ce phénomène

- DAPHNÉE DION-VIENS

Adolescent­e, Ariane Beaulieu est allée jusqu’à s’automutile­r pour soulager le mal intérieur qui la rongeait. Pendant ses études au Cégep Limoilou, la jeune femme de 20 ans a voulu mieux comprendre ce qu’elle avait vécu en menant des travaux de recherche sur le sujet qui ont été récompensé­s deux fois plutôt qu’une par l’associatio­n pour la recherche au collégial. Le Journal s’est entretenu avec cette étudiante-chercheuse étoile. Comment en es-tu venue à t’intéresser à l’automutila­tion chez les adolescent­s? C’était d’abord par intérêt personnel. Moi-même, comme adolescent­e, je suis passée par là. Je comprenais un peu ce qui se passait dans la tête des jeunes et j’ai décidé d’étudier ça plus en profondeur, pour comprendre les causes et les conséquenc­es. C’est une problémati­que d’actualité, il y a de plus en plus de jeunes qui pratiquent ces comporteme­nts.

Qu’est-ce que tu as vécu? Je me suis automutilé­e en cinquième secondaire. J’avais des problèmes d’estime de moi. Aujourd’hui, ça va bien, mais au secondaire, c’était plus difficile. Je voyais toutes mes amies qui étaient plus minces que moi et je me disais que je ne serais jamais assez parfaite. J’ai aussi développé des troubles alimentair­es. Je ne m’aimais tellement pas que c’était comme une vengeance contre moi-même. Après avoir fait ça, je me sentais bien. Ça m’aidait aussi à oublier le stress relié à l’école, aux examens. Je ne voudrais pas la revivre, mon adolescenc­e.

Qu’est-ce qui a permis de t’en sortir? J’ai été bien entourée, j’ai eu de l’aide de l’infirmière et du psychologu­e de mon école. J’ai eu aussi de l’aide sur le web, il y a des sites où les gens s’aident à arrêter de faire ça. Internet, c’est à la fois positif et négatif. Il y a des réseaux qui encouragen­t et normalisen­t l’automutila­tion, alors qu’il y en a d’autres qui permettent de s’en sortir. C’est par internet que j’ai pris connaissan­ce de ce comporteme­nt-là, que je l’ai découvert, mais c’est aussi grâce à internet que j’ai arrêté. C’est quand même paradoxal.

Et en t’intéressan­t à ce phénomène dans le cadre d’un projet de recherche, qu’est-ce que ça t’a permis d’apprendre? J’ai fait plein de liens qui m’ont aidée à comprendre ce que j’ai vécu. Je me suis reconnue dans plusieurs facteurs psychologi­ques qui se passent à l’adolescenc­e. Il y avait aussi des liens avec les troubles alimentair­es, j’avais beaucoup de facteurs de risques.

Qu’est-ce qui justement pousse un adolescent à s’automutile­r? Il y a les troubles mentaux d’abord, c’est un facteur de risque. Le fait d’être une fille est aussi un facteur de risque parce que ce comporteme­nt est deux fois plus présent chez les filles. Il y a aussi le fait d’être exposé aux réseaux sociaux. Avant, c’était un comporteme­nt isolé, surtout associé à la psychiatri­e, alors que maintenant, il y a beaucoup de jeunes qui fonctionne­nt normalemen­t en société et qui pratiquent ça, même si on ne s’en doute pas. Pour ceux qui sont à risque, ils peuvent voir ces comporteme­nts-là sur le web et se dire que ça va les libérer de leur souffrance.

Pourquoi c’est plus fréquent chez les filles? Il y a beaucoup de filles qui disent qu’elles se mutilent pendant la période prémenstru­elle, donc il y a des modificati­ons hormonales qui entrent en jeu. Il y a aussi le fait qu’on a été socialisée­s à intérioris­er notre colère. Les filles ont plus tendance à retourner leur colère contre elle-même contrairem­ent aux garçons qui l’extérioris­ent davantage.

Et comment as-tu réagi lorsque tu as appris que tu avais reçu deux prix pour tes travaux de recherche sur l’automutila­tion des jeunes? C’est gratifiant. Ça m’a donné le goût de continuer mes études. Je ne me sentais pas prête à aller à l’université, mais avec cette reconnaiss­ance, je me suis dit: «ben voyons donc, moi aussi, je suis capable!»

 ??  ?? Ariane Beaulieu a réglé ses problèmes d’automutila­tion, qui sont devenus pour elle un sujet d’étude.
Ariane Beaulieu a réglé ses problèmes d’automutila­tion, qui sont devenus pour elle un sujet d’étude.

Newspapers in French

Newspapers from Canada