D’automutilée à chercheuse honorée
L’étudiante Ariane Beaulieu est primée pour ses travaux sur ce phénomène
Adolescente, Ariane Beaulieu est allée jusqu’à s’automutiler pour soulager le mal intérieur qui la rongeait. Pendant ses études au Cégep Limoilou, la jeune femme de 20 ans a voulu mieux comprendre ce qu’elle avait vécu en menant des travaux de recherche sur le sujet qui ont été récompensés deux fois plutôt qu’une par l’association pour la recherche au collégial. Le Journal s’est entretenu avec cette étudiante-chercheuse étoile. Comment en es-tu venue à t’intéresser à l’automutilation chez les adolescents? C’était d’abord par intérêt personnel. Moi-même, comme adolescente, je suis passée par là. Je comprenais un peu ce qui se passait dans la tête des jeunes et j’ai décidé d’étudier ça plus en profondeur, pour comprendre les causes et les conséquences. C’est une problématique d’actualité, il y a de plus en plus de jeunes qui pratiquent ces comportements.
Qu’est-ce que tu as vécu? Je me suis automutilée en cinquième secondaire. J’avais des problèmes d’estime de moi. Aujourd’hui, ça va bien, mais au secondaire, c’était plus difficile. Je voyais toutes mes amies qui étaient plus minces que moi et je me disais que je ne serais jamais assez parfaite. J’ai aussi développé des troubles alimentaires. Je ne m’aimais tellement pas que c’était comme une vengeance contre moi-même. Après avoir fait ça, je me sentais bien. Ça m’aidait aussi à oublier le stress relié à l’école, aux examens. Je ne voudrais pas la revivre, mon adolescence.
Qu’est-ce qui a permis de t’en sortir? J’ai été bien entourée, j’ai eu de l’aide de l’infirmière et du psychologue de mon école. J’ai eu aussi de l’aide sur le web, il y a des sites où les gens s’aident à arrêter de faire ça. Internet, c’est à la fois positif et négatif. Il y a des réseaux qui encouragent et normalisent l’automutilation, alors qu’il y en a d’autres qui permettent de s’en sortir. C’est par internet que j’ai pris connaissance de ce comportement-là, que je l’ai découvert, mais c’est aussi grâce à internet que j’ai arrêté. C’est quand même paradoxal.
Et en t’intéressant à ce phénomène dans le cadre d’un projet de recherche, qu’est-ce que ça t’a permis d’apprendre? J’ai fait plein de liens qui m’ont aidée à comprendre ce que j’ai vécu. Je me suis reconnue dans plusieurs facteurs psychologiques qui se passent à l’adolescence. Il y avait aussi des liens avec les troubles alimentaires, j’avais beaucoup de facteurs de risques.
Qu’est-ce qui justement pousse un adolescent à s’automutiler? Il y a les troubles mentaux d’abord, c’est un facteur de risque. Le fait d’être une fille est aussi un facteur de risque parce que ce comportement est deux fois plus présent chez les filles. Il y a aussi le fait d’être exposé aux réseaux sociaux. Avant, c’était un comportement isolé, surtout associé à la psychiatrie, alors que maintenant, il y a beaucoup de jeunes qui fonctionnent normalement en société et qui pratiquent ça, même si on ne s’en doute pas. Pour ceux qui sont à risque, ils peuvent voir ces comportements-là sur le web et se dire que ça va les libérer de leur souffrance.
Pourquoi c’est plus fréquent chez les filles? Il y a beaucoup de filles qui disent qu’elles se mutilent pendant la période prémenstruelle, donc il y a des modifications hormonales qui entrent en jeu. Il y a aussi le fait qu’on a été socialisées à intérioriser notre colère. Les filles ont plus tendance à retourner leur colère contre elle-même contrairement aux garçons qui l’extériorisent davantage.
Et comment as-tu réagi lorsque tu as appris que tu avais reçu deux prix pour tes travaux de recherche sur l’automutilation des jeunes? C’est gratifiant. Ça m’a donné le goût de continuer mes études. Je ne me sentais pas prête à aller à l’université, mais avec cette reconnaissance, je me suis dit: «ben voyons donc, moi aussi, je suis capable!»