Ruse « répréhensible » de la SQ
Le comportement de la police est choquant, dit un juge qui a libéré un motard après qu’une taupe ait menti
La cupidité et les mensonges d’un bandit que la Sûreté du Québec a camouflés après l’avoir payé 630 000 $ pour piéger des trafiquants liés aux Hells Angels ont mené à un véritable gâchis judiciaire.
Le juge François Huot dénonce «l’inqualifiable désinvolture» et «la conduite répréhensible» de la SQ dans un jugement lapidaire, rendu à la fin du mois dernier, expliquant pourquoi il a annulé les plaidoyers de culpabilité enregistrés par quatre accusés — dont Richard «Bob» Hudon, un membre fondateur des Hells du chapitre de Québec — et ordonné l’arrêt des procédures contre eux.
«La Sûreté du Québec a délibérément choisi de préserver, par le camouflage et la ruse, une apparence de crédibilité et de fiabilité chez l’agent civil d’infiltration, et ce, jusqu’à ce que l’ensemble de la preuve sur la peine soit close», selon le juge de la Cour supérieure.
VENTES DE DROGUES CACHÉES
La SQ avait promis près d’un million $ à un criminel comptant parmi ses sources pour devenir agent civil d’infiltration dans le projet Vautour, qui a conduit à une vingtaine d’arrestations le 16 novembre 2011.
Entre février 2010 et novembre 2011, ce trafiquant «fortement criminalisé» — dont l’identité ne peut être révélée — a transigé de la drogue avec des suspects qu’il a enregistrés à leur insu pour amasser des preuves.
Durant ses 94 semaines de mission, il a empoché une allocation «de subsistance» hebdomadaire de 1400 $. Et son contrat lui prévoyait des «indemnités» additionnelles de 700 000 $ étalées sur cinq ans.
Il devait montrer patte blanche au Service de protection des témoins (SPT) de la SQ et ne rien cacher aux policiers sur ses activités criminelles.
Or, dans le dos de la SQ, le trafiquant a vendu des milliers de comprimés de «speed» [méthamphétamine] et plusieurs onces de cocaïne pour son propre compte.
CRÉDIBILITÉ D’UN « MENTEUR »
Il a toutefois fini par l’admettre à trois reprises, entre 2012 et 2015. «Que firent alors les contrôleurs du témoin vedette du Ministère public? Absolument rien», a constaté le juge.
Hudon, nouvellement retraité des Hells lorsqu’il a été arrêté, ainsi que Simon Harvey, Christian Roberge et Oscar Lessard ignoraient donc ces faits quand ils ont plaidé coupables à l’automne 2015.
«L’interrogatoire des policiers du SPT aurait vraisemblablement démontré que la Sûreté du Québec considérait alors monsieur […] comme un menteur. Sa crédibilité était au coeur du litige», selon le juge.
Ce n’est que le 10 mai 2016 que la SQ a résilié son contrat — et gardé les derniers 200 000 $ qu’elle devait lui remettre — pour avoir «omis de révéler plusieurs actes criminels dont vous aviez l’obligation de dénoncer (sic)».
«Le laxisme et l’aveuglement volontaire» face aux inconduites de la taupe ont «défié les normes les plus élémentaires de franc-jeu et de décence dont doivent faire preuve les policiers dans l’exercice de leurs fonctions», a conclu le juge, aussi cinglant face au «choix stratégique et peu subtil» de la poursuite d’avoir caché à la défense les tares de son «témoin vedette».
La Couronne a informé la cour qu’«aucune accusation ne serait portée» contre la taupe.