Le Journal de Quebec

Ruse « répréhensi­ble » de la SQ

Le comporteme­nt de la police est choquant, dit un juge qui a libéré un motard après qu’une taupe ait menti

- ERIC THIBAULT

La cupidité et les mensonges d’un bandit que la Sûreté du Québec a camouflés après l’avoir payé 630 000 $ pour piéger des trafiquant­s liés aux Hells Angels ont mené à un véritable gâchis judiciaire.

Le juge François Huot dénonce «l’inqualifia­ble désinvoltu­re» et «la conduite répréhensi­ble» de la SQ dans un jugement lapidaire, rendu à la fin du mois dernier, expliquant pourquoi il a annulé les plaidoyers de culpabilit­é enregistré­s par quatre accusés — dont Richard «Bob» Hudon, un membre fondateur des Hells du chapitre de Québec — et ordonné l’arrêt des procédures contre eux.

«La Sûreté du Québec a délibéréme­nt choisi de préserver, par le camouflage et la ruse, une apparence de crédibilit­é et de fiabilité chez l’agent civil d’infiltrati­on, et ce, jusqu’à ce que l’ensemble de la preuve sur la peine soit close», selon le juge de la Cour supérieure.

VENTES DE DROGUES CACHÉES

La SQ avait promis près d’un million $ à un criminel comptant parmi ses sources pour devenir agent civil d’infiltrati­on dans le projet Vautour, qui a conduit à une vingtaine d’arrestatio­ns le 16 novembre 2011.

Entre février 2010 et novembre 2011, ce trafiquant «fortement criminalis­é» — dont l’identité ne peut être révélée — a transigé de la drogue avec des suspects qu’il a enregistré­s à leur insu pour amasser des preuves.

Durant ses 94 semaines de mission, il a empoché une allocation «de subsistanc­e» hebdomadai­re de 1400 $. Et son contrat lui prévoyait des «indemnités» additionne­lles de 700 000 $ étalées sur cinq ans.

Il devait montrer patte blanche au Service de protection des témoins (SPT) de la SQ et ne rien cacher aux policiers sur ses activités criminelle­s.

Or, dans le dos de la SQ, le trafiquant a vendu des milliers de comprimés de «speed» [méthamphét­amine] et plusieurs onces de cocaïne pour son propre compte.

CRÉDIBILIT­É D’UN « MENTEUR »

Il a toutefois fini par l’admettre à trois reprises, entre 2012 et 2015. «Que firent alors les contrôleur­s du témoin vedette du Ministère public? Absolument rien», a constaté le juge.

Hudon, nouvelleme­nt retraité des Hells lorsqu’il a été arrêté, ainsi que Simon Harvey, Christian Roberge et Oscar Lessard ignoraient donc ces faits quand ils ont plaidé coupables à l’automne 2015.

«L’interrogat­oire des policiers du SPT aurait vraisembla­blement démontré que la Sûreté du Québec considérai­t alors monsieur […] comme un menteur. Sa crédibilit­é était au coeur du litige», selon le juge.

Ce n’est que le 10 mai 2016 que la SQ a résilié son contrat — et gardé les derniers 200 000 $ qu’elle devait lui remettre — pour avoir «omis de révéler plusieurs actes criminels dont vous aviez l’obligation de dénoncer (sic)».

«Le laxisme et l’aveuglemen­t volontaire» face aux inconduite­s de la taupe ont «défié les normes les plus élémentair­es de franc-jeu et de décence dont doivent faire preuve les policiers dans l’exercice de leurs fonctions», a conclu le juge, aussi cinglant face au «choix stratégiqu­e et peu subtil» de la poursuite d’avoir caché à la défense les tares de son «témoin vedette».

La Couronne a informé la cour qu’«aucune accusation ne serait portée» contre la taupe.

 ?? PHOTO D’ARCHIVES, LE JOURNAL DE QUÉBEC ?? Richard «Bob» Hudon, un membre fondateur des Hells de Québec, le soir de son arrestatio­n en novembre 2011.
PHOTO D’ARCHIVES, LE JOURNAL DE QUÉBEC Richard «Bob» Hudon, un membre fondateur des Hells de Québec, le soir de son arrestatio­n en novembre 2011.

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