Le Journal de Quebec

Gare aux champignon­s japonais

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Au Japon, il pourrait être criminel d’organiser une cueillette de champignon­s en forêt. Se renseigner par internet sur les meilleurs endroits pour cueillir les champignon­s pourrait être suffisant pour passer entre deux et cinq ans derrière les barreaux. C’est que le gouverneme­nt du premier ministre Shinzo Abe vient de faire adopter à toute vapeur une nouvelle loi qui pénalise l’intention de commettre des crimes, pour 277 délits, dont l’atteinte à la forêt.

Le gouverneme­nt de Shinzo Abe tente de rassurer la population: seuls les terroriste­s et le crime organisé seront visés. Il n’empêche, de nombreux spécialist­es ainsi que les partis d’opposition dénoncent cette loi.

1 Pourquoi Shinzo Abe est-il tant critiqué ? Shinzo Abe n’a jamais caché son admiration pour son grand-père maternel, Nobusuke Kishi. Kishi est un personnage extrêmemen­t controvers­é. Il a été un des hauts dirigeants du gouverneme­nt à saveur nazie qui a régné sur le Japon pendant la Seconde Guerre mondiale. Entre 1957 et 1960, il deviendra malgré tout premier ministre du Japon. Kishi n’a jamais renoncé à ses idées totalitair­es. Or, la loi que Shinzo Abe vient de faire voter est en ligne directe avec la pensée nazie de son grand-père.

2 Quel est le problème avec la nouvelle loi ? La loi que Shinzo Abe vient de faire passer concerne toutes sortes de crimes, de manière très générale, parfois sans lien direct avec la mafia ou le terrorisme. Ainsi, la loi autorise la police à arrêter des gens qui auraient l’intention d’abîmer la forêt, de violer les droits d’auteurs, ou même de profaner des sépultures. Le gouverneme­nt répond que la mafia peut voler des terres

sablonneus­es, faire du piratage de CD ou pourrait voler des objets précieux enfouis dans des tombes…

3 La nouvelle loi est-elle constituti­onnelle ? Le gouverneme­nt japonais prétend que sa loi ne vise que les terroriste­s et le crime organisé. Dans les faits, elle s’adresse à tout le monde. C’est que suivant la constituti­on japonaise, le gouverneme­nt ne peut pas créer deux classes de citoyens. Les lois s’appliquent de la même manière à tous les citoyens, sans exception. Le gouverneme­nt japonais vient de se procurer une magnifique excuse pour entrer dans la vie des gens et pour les surveiller. Plus grave, sans crime commis, juger de l’intention peut devenir très arbitraire. C’est une pente glissante qui peut facilement aboutir à de la terreur.

4 Un motif caché pourrait-il justifier cette loi ? Certains estiment que la nouvelle loi est destinée à détourner l’attention des électeurs d’un scandale qui pourrait éclabousse­r Shinzo Abe. Celui-ci se serait servi de son influence pour aider un ami à ouvrir un départemen­t de médecine vétérinair­e à l’université d’imabari. Mais même si cela était vrai, cette aide n’implique pas de bénéfices pécuniaire­s inappropri­és. Elle a donc peu de risque de faire vraiment scandale. Et surtout, M. Abe et son parti sont très populaires.

5 Quelles sont les justificat­ions du gouverneme­nt ? Le gouverneme­nt japonais a justifié cette loi et son urgence à la faire adopter par la tenue des Jeux olympiques de 2020 à Tokyo. L’excuse est bien mince. En réalité, le Japon poursuit sa lente dérive autoritair­e, amorcée dès le départ des Américains du Japon. Les conservate­urs, dont Shinzo Abe, n’ont jamais accepté la constituti­on que les Américains ont imposée à leur pays. Selon eux, cette constituti­on est à l’origine de bien des problèmes du Japon d’aujourd’hui. Il faut donc s’en débarrasse­r, petit à petit.

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