Le Journal de Quebec

La Couronne sermonnée

Cinq accusés sont libérés dans un dossier de fraude « qui n’avance jamais »

- ERIC THIBAULT

La Couronne essuie des critiques sévères d’un juge pour s’être traîné les pieds dans un dossier de fraude qui avait nécessité quatre ans d’enquête policière et où elle a fini par faire chou blanc.

Le juge Daniel Bédard a rejeté l’entière responsabi­lité de ce «dossier qui n’avance jamais» sur «l’absence flagrante» de préparatio­n des procureurs du Directeur des poursuites criminelle­s et pénales (DPCP). C’est ce qu’il écrit dans sa décision déposée il y a quelques jours.

Le magistrat avait ordonné l’arrêt des procédures pour délais déraisonna­bles contre cinq accusés du projet Hantise, le 14 juin, lors d’une très brève audience.

Charles Huneault, relié aux Hells Angels par la police, et quatre coaccusés avaient été arrêtés en octobre 2014 par la Sûreté du Québec. Ils n’auraient pas pu être jugés avant février 2019, après un procès de trois mois, notamment en raison de «l’absence flagrante» de préparatio­n du DPCP, d’après le magistrat.

PREUVE « INCOMPLÈTE »

Le tribunal a déploré «la communicat­ion de preuve tardive et ardue» de la poursuite aux avocats des accusés. Un problème que d’autres juges ont déjà relevé dans le passé, notamment dans le volet judiciaire de l’opération Sharqc aux dépens des Hells et qui a fini en queue de poisson.

Le juge Bédard s’est étonné que le DPCP divulgue encore des éléments de cette preuve «incomplète» à la défense au moment même où Alexandre Bergevin et les autres avocats étaient en train d’invoquer l’arrêt Jordan pour faire libérer leurs clients.

La Couronne tentait de prouver que les exploitant­s de deux centres d’encaisseme­nt de chèques situés à Montréal et à Laval, qui détenaient des permis en règle de l’autorité des marchés financiers, auraient sciemment aidé de nombreux clients dans l’industrie de la constructi­on à cacher leurs revenus au fisc et à frauder l’état pour des sommes totalisant 47 millions $.

Une théorie qu’elle avait qualifiée d’«inédite» au Québec. «Est-ce que la théorie est issue de la preuve recueillie ou a-t-on construit cette théorie pour ensuite tenter de l’actualiser par une preuve? Comment pourrait-on accuser une personne si l’analyse de la preuve n’est pas complétée?» s’est demandé le juge.

UNE FACTURE SALÉE

La SQ n’a pas précisé les coûts de son enquête, qu’elle avait amorcée en septembre 2010. Avec 400 policiers mobilisés, 250 mandats judiciaire­s obtenus pour de l’écoute électroniq­ue et des perquisiti­ons et 200 témoins rencontrés, la facture est salée. De plus, elle a engagé cinq juricompta­bles pour analyser 140 000 transactio­ns et 100 000 comptes bancaires dans cette affaire.

Charles Huneault, qui a subi des impacts financiers «démesurés» dans cette affaire selon le juge Bédard, avait fait parler de lui dans l’opération Colisée de la GRC. Le 23 août 2006, après une dispute dans un restaurant de la rue Peel où il avait pris le mafioso Francesco Del Balso à la gorge, sa Porsche a été criblée de balles par un lieutenant du clan Rizzuto, Lorenzo Giordano. Ce dernier a été assassiné à Laval, l’an dernier.

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PHOTO D’ARCHIVES, MARTIN ALARIE Charles Huneault, relié aux Hells, a été arrêté en octobre 2014.

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