Un électrochoc nécessaire
L’arrêt de la Cour suprême a forcé le milieu judiciaire à se reprendre en mains, affirme un juge en chef
Le fameux arrêt Jordan sur les délais à la cour a causé tout un électrochoc dans le système judiciaire l’été passé, mais un an plus tard tous les observateurs s’accordent pour dire qu’il a permis de remettre la justice sur les rails.
« Avec Jordan, nous faisions face à une catastrophe et on a réagi, tout le monde s’est mis à pied d’oeuvre, mais ce n’est pas fini ; ça prend des forces et des crédits, chaque effort compte », explique le juge en chef de la Cour supérieure du Québec Jacques R. Fournier.
L’arrêt de la Cour suprême du Canada avait causé toute une commotion dans la province l’été passé. Depuis, des accusés ont été libérés en raison des trop longs délais, incluant trois meurtriers allégués.
Me Annick Murphy, la grande patronne du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), confie toutefois qu’il s’agissait d’un jugement nécessaire.
La présidente de l’association québécoise des avocats et avocates de la défense, Me Mia Manocchio, abonde dans le même sens, affirmant même qu’à terme, ce jugement permettra de ramener de la crédibilité au système judiciaire.
Pourtant, de nombreux acteurs judiciaires appréhendaient depuis quelque temps la crise des délais. Le juge en chef Fournier parle même d’une « catastrophe annoncée », puisque son prédécesseur avait déjà tiré la sonnette d’alarme.
« Jordan a fait mal, mais il a entraîné un vrai changement de culture, renchérit la juge en chef adjointe de la Cour du Québec Danielle Côté. Mais les ministres ont fait beaucoup d’effort, des fonds ont été octroyés, il y a eu 16 nominations de juges et nous avons mis les bouchées doubles pour réduire les délais. »
FONDS
Il a toutefois fallu attendre plusieurs mois avant que les gouvernements nomment des juges, des procureurs et du personnel de la cour. Plus de 175 millions $ ont été injectés dans le système judiciaire par la ministre Stéphanie Vallée.
« Récemment, des artistes se scandalisaient du budget qui leur était accordé, explique le juge en chef Fournier. Je les comprends, car la justice a un budget similaire. »
Depuis, le DPCP affirme que le nombre de dossiers actifs devant la justice a drastiquement chuté, passant de 108 000 au printemps 2016 à 65 000 le mois dernier.
En proposant des offres de règlement et en attendant que les dossiers soient complets avant de porter des accusations pour éviter de reporter des causes en cours de route, les délais ont diminué, affirme Me Murphy.
« Jordan a réveillé les gouvernements, l’éclaircie que l’on voit est le fruit de tous, mais maintenant, il ne faut pas se ren- dormir, prévient toutefois le juge en chef Fournier. Il faut aller jusqu’au bout [du changement]. C’est comme au hockey, il faut jouer 60 minutes. »
CONTRECOUP
Malgré que les délais au criminel aient été réduits, tout n’est toutefois pas rose, prévient le juge en chef. Car cela se fait au détriment des procès en matière civile et familiale.
« Ce n’est pas encore dramatique, mais si ça continue, ça va devenir plus sérieux », explique-t-il.
Les délais, surtout au niveau familial, peuvent causer de graves préjudices aux parents qui attendent la garde de leur enfant, ou qui réclament le paiement d’une pension alimentaire. Car si le temps d’attente pour les procès devant jury est passé de 30 à 17 mois, les causes familiales ont vu les délais s’allonger de 10 à 19 semaines.
«À terme, les gens vont reprendre confiance envers le système judiciaire, conclut le juge en chef Fournier. Il faut aller jusqu’au bout. C’est positif, mais il ne faut pas que les solutions ne soient que temporaires. »
« JORDAN A RÉVEILLÉ LES GOUVERNEMENTS. L’ÉCLAIRCIE QUE L’ON VOIT EST LE FRUIT DE TOUS, MAIS MAINTENANT, IL NE FAUT PAS SE RENDORMIR »
- Le juge en chef de la Cour supérieure du Québec, Jacques R. Fournier.