Le Journal de Quebec

Faire ou subir son destin ?

- JOSEPH FACAL joseph.facal@quebecorme­dia.com

Le Québec est-il plus libre aujourd’hui qu’en 1967, au moment de la célèbre visite du général de Gaulle ? Vaste et compliquée question ! Les Québécois d’aujourd’hui sont plus riches, plus éduqués, plus informés, plus sophistiqu­és.

Ils sont en meilleure santé, vivent plus longtemps, vivent plus confortabl­ement.

Aujourd’hui, nombre de Québécois brillent sur la scène internatio­nale, dans tous les domaines.

En 1967, une poignée à peine de Québécois était connue hors de nos frontières.

ET POURTANT…

Et pourtant, on sent que cela ne fait pas le tour de la question.

Regardez ces vieux documentai­res en noir et blanc des années 1960, souvent sortis de L’ONF.

Écoutez les témoignage­s du « monde ordinaire » d’alors.

Il est frappant de voir la timidité, l’hésitation, la peur de déranger, la soumission dans le regard, le vocabulair­e pauvre et approximat­if, un joual beaucoup plus appuyé qu’aujourd’hui.

Pourtant, oui, entre cette époque et aujourd’hui, quelque chose s’est brisé.

Un quelque chose qu’il est dur de mettre en mots.

Il s’est perdu un élan, un sens de l’émerveille­ment, une conviction que le meilleur était à venir.

Aujourd’hui, nombre de Québécois brillent individuel­lement, mais le peuple québécois n’est pas en marche vers l’avant.

En fait, beaucoup de Québécois ne s’identifien­t plus à leur propre peuple, ont du mal à dire « nous », et certains pensent même qu’ils s’élèvent en reniant cet ancrage.

Fernand Dumont, peut-être notre plus grand penseur, a déjà dit qu’il espérait de la Révolution tranquille « un supplément d’âme » qui n’est jamais venu.

MOI, MOI

Non, je n’idéalise pas le passé. Je dis que le Québec de jadis se voyait en mode rattrapage. Le Québec d’aujourd’hui se contente de ce qu’il a, même si, objectivem­ent, il a plus qu’hier.

Évidemment, le Québec actuel n’est pas épargné par l’ultra-individual­isme et le cynisme qui submergent toute la planète.

Mais dans notre cas, on ne dira jamais assez à quel point les deux défaites référendai­res du mouvement souveraini­ste ont scié les jambes de la fierté collective québécoise.

C’est se raconter des histoires que de prétendre le contraire.

Alors, on se construit des récits sur l’importance de se concentrer sur les vraies affaires, de construire son bonheur personnel, sur « les-canadiensq­ui-sont-pas-méchants-dans-le-fond » ou sur l’ouverture au monde.

Toutes des choses largement vraies, mais mises en place, un peu comme des mécanismes psychologi­ques de défense, pour éviter de regarder froidement l’immense échec qui est au coeur de la trajectoir­e inachevée du peuple québécois.

Voyons les choses en face : les Québécois francophon­es vivent aujourd’hui dans un système politique qui les domine, régis par une constituti­on qui leur a été imposée de force, qu’aucun de nos gouverneme­nts n’a accepté de signer, et sous l’égide d’une Charte qui les nie comme peuple et les ravale au rang de minorité ethnique.

Que cela ne semble pas déranger grand-monde reflète une immense, dramatique et tragique démission collective.

Quand le général de Gaulle est venu nous voir, le Canada anglais était interloqué, déstabilis­é, presque craintif devant un Québec qui découvrait sa force.

« What does Quebec want ? », se demandait-il.

Métaphoriq­uement, le Canada anglais d’aujourd’hui nous dit : « We don’t care what you want ».

Et comment le blâmer ? Deux fois, nous avons grimpé jusqu’en haut de la tour de plongeon et, deux fois, après avoir regardé l’eau, nous sommes redescendu­s par l’escalier.

OUTIL

René Lévesque disait jadis que le peuple québécois a longtemps pensé qu’il devait se faire oublier pour survivre.

Se faire oublier pour ne pas qu’on lui tape encore dessus, pour ne pas risquer de déranger.

Aujourd’hui, j’ai le sentiment que le peuple québécois s’oublie de nouveau, mais cette fois, parce que chaque Québécois est trop concentré sur son nombril.

Sommes-nous plus « libres » aujourd’hui qu’en 1967 ? Nous le serions si nous le voulions.

La liberté est un outil. Vous le saisissez ou non. Et si vous le saisissez, vous vous en servez pour viser petit ou pour viser grand, juste pour vous ou pour vous et les autres.

Le général espérait autre chose de nous. Il espérait plus.

Dois-je m’excuser de dire ce qui doit être dit ?

Je ne crois pas.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada