Le Journal de Quebec

Enseigner et commenter la politique à l’ère de Trump

- PIERRE MARTIN @Pmartin_udem

Pour un politologu­e chroniqueu­r, enseigner et commenter la politique américaine à l’ère de Trump est un défi singulier. Alors que les États-unis se dirigent presque inexorable­ment vers une crise constituti­onnelle dont les retombées ne nous épargneron­t pas, il faut le relever.

Les adeptes de la section « commentair­es » du Journal me rappellent souvent gentiment qu’un politologu­e devrait être neutre face à la chose politique.

À l’ère de Trump, cela reviendrai­t à présenter tout ce que font ou disent le président ou son parti comme « normal ». Or, Trump et les républicai­ns dépassent fréquemmen­t les bornes et ce n’est pas un geste partisan de le souligner, qu’on soit professeur ou chroniqueu­r.

ENVIRONNEM­ENT HYPERPARTI­SAN

J’ai de l’empathie pour mes collègues américains qui enseignent et mènent leurs recherches dans cet environnem­ent hyperparti­san. Comment conserver un semblant de détachemen­t non partisan quand des normes démocratiq­ues fondamenta­les sont enfreintes de façon routinière par le président et son parti?

Récemment, le président vilipendai­t ses opposants et les médias devant 40 000 boy-scouts, songeait à congédier un procureur spécial et à s’autopardon­ner. Ensuite, le Sénat passait proche d’enlever l’assurance-maladie à des millions de citoyens en votant aux petites heures sur un projet de loi préparé en catimini et dévoilé quelques instants plus tôt.

OBJECTIVIT­É VS IMPARTIALI­TÉ

La partisaner­ie et le prosélytis­me idéologiqu­e n’ont pas leur place dans les salles de cours et si la chronique offre une certaine latitude à l’expression des opinions, elle ne libère pas le professeur de l’éthique de sa profession.

Les politologu­es doivent être objectifs, c’est-à-dire de fonder leurs analyses sur des faits vérifiable­s et d’exposer les faussetés et les mensonges. Il ne faut toutefois pas confondre objectivit­é et impartiali­té.

Les politologu­es peuvent—certains diront « doivent » —défendre les valeurs consensuel­les dont dépendent nos démocratie­s, comme la règle de droit, la décence, l’honnêteté, la justice et l’équité. Quand ces normes sont transgress­ées, ici ou ailleurs, l’enseignant ou l’intellectu­el public n’a pas à être impartial.

LES FAUSSES ÉQUIVALENC­ES

Les défenseurs de Trump et des républicai­ns insistent qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil.

C’est faux. Jamais on n’a vu un président américain malmener à ce point les normes démocratiq­ues. Tous les politicien­s déforment la vérité, mais Trump la pulvérise. L’ampleur de ses conflits d’intérêts est sans précédent. Sans parler de ses tentatives d’étouffer l’affaire de l’ingérence russe qui ne font qu’alourdir les soupçons.

Au Congrès, même si l’adoption d’obamacare en 2009 n’était pas une affaire d’enfants de choeur, c’était un modèle de transparen­ce et de collégiali­té comparé à l’opacité et à la partisaner­ie pure qui ont marqué les tentatives d’abrogation.

CE N’EST PAS NORMAL

Ce qui se passe aux États-unis n’est pas normal. Il faut le dire.

Certains objecteron­t que les Américains ont voté et qu’il faut accepter ce qui arrive comme le reflet de la volonté du peuple.

C’est ce genre d’acceptatio­n tranquille qui met la démocratie en péril.

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