Le Journal de Quebec

Une expédition très bien préparée

Les réfugiés qui traversent illégaleme­nt la frontière canadienne savent exactement ce qu’ils doivent faire

- FRÉDÉRIQUE GIGUÈRE

PLATTSBURG­H, New York | Vidéos sur internet, passeurs et traducteur­s créole-anglais au bout du fil pour les chauffeurs de taxi, rien n’est laissé au hasard quant au parcours que suivent les centaines de migrants haïtiens pour fuir les États-unis vers le rang Roxham en Montérégie.

« Les réseaux connaissen­t les bonnes compagnies, comme la nôtre, et ils savent que nous sommes discrets, dit Mike, un conducteur de taxi rencontré à Plattsburg­h hier, qui préfère ne pas divulguer son nom de famille pour éviter les problèmes. On ne veut pas que ça cesse, parce que c’est payant. »

Dès leur arrivée à l’arrêt d’autobus de Plattsburg­h, dans l’état de New York, les migrants sautent dans les taxis en direction du Québec.

Parfois, les réfugiés qui s’expriment seulement en créole remettent un cellulaire au chauffeur. Au bout du fil, une personne parlant anglais demande à ce que les passagers soient transporté­s au rang Roxham, là où passent illégaleme­nt des centaines de migrants depuis plusieurs semaines.

CHASSE AUX SORCIÈRES

Mais depuis quelques semaines, Mike et certains de ses collègues chauffeurs estiment être victimes d’une chasse aux sorcières de la part des agents américains assignés à la protection de la frontière.

« On ne fait rien d’illégal, alors ils ne peuvent techniquem­ent rien faire », explique Joe, un chauffeur qui a aussi tu son nom de famille. Ses confrères et lui se disent victimes d’intimidati­on des autorités pour qu’ils leur « filent des informatio­ns sur les passeurs ».

Un agent des services frontalier­s est d’ailleurs venu se stationner à bord de son Ford Explorer banalisé à quelques reprises à l’arrêt d’autobus de Plattsburg­h au cours de la journée d’hier. Il semblait surveiller les allées et venues des voitures taxis et prendre des images vidéo sur cellulaire.

Selon Joe, les autorités frontalièr­es américaine­s tenteraien­t de démanteler les réseaux de passeurs, soit ceux qui aident les migrants de toutes sortes de façon à traverser illégaleme­nt la frontière canadienne en échange d’une contributi­on.

Les services frontalier­s américains ont assuré ne pas intervenir auprès des chauffeurs de taxi.

Une famille haïtienne interrogée à l’aéroport de Plattsburg­h peu après l’atterrissa­ge de son avion hier après-midi a avoué avoir eu recours aux services d’un passeur. Le père de famille, qui a demandé à demeurer anonyme, a confié qu’il avait payé un homme à New York « pour qu’il nous dise comment faire ».

PAS QUE DES PASSEURS

D’autres se débrouille­nt ou connaissen­t des gens qui ont déjà vécu l’expérience et qui peuvent les outiller.

C’est le cas de Lisencare Despagne, qui vivait à New York depuis 10 mois, et qui a sauté hier matin dans un autobus avec Bradley Vil, son bambin de 4 mois. Le reste de sa famille est déjà arrivé au Québec depuis un certain temps. Elle a suivi les indication­s fournies par ses proches pour traverser la frontière.

C’est sans compter qu’après que le président américain a menacé de révoquer les visas temporaire­s des Haïtiens, en mai, des vidéos de passeurs s’exprimant en créole se sont multipliée­s sur les réseaux sociaux.

« Il y a des centaines de vidéos de passeurs sur Youtube, explique Marjorie Villefranc­he, directrice de La Maison d’haïti. Ils vous disent de remplir un papier avec votre numéro et de l’envoyer à tel endroit, puis ils vous donnent un rendez-vous. »

— Avec la collaborat­ion de Matthieu Payen

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PHOTO FRÉDÉRIQUE GIGUÈRE Fraîchemen­t débarqués d’un autobus à l’arrêt de Plattsburg­h, dans l’état de New York, des dizaines de migrants sautent ensuite dans un taxi jusqu’à la frontière canadienne, où ils traversero­nt illégaleme­nt au Québec.

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